50 ans après la première greffe cardiaque, les avancées sont ralenties par la pénurie d’organes

Le Dr Christiaan Barnard examine la radio de la poitrine de Louis Washkansky, sur qui il a pratiqué, le 3 décembre 1967, la première greffe du cœur.
Photo: ANP Agence France-Presse Le Dr Christiaan Barnard examine la radio de la poitrine de Louis Washkansky, sur qui il a pratiqué, le 3 décembre 1967, la première greffe du cœur.

Il y a 50 ans, une première greffe cardiaque réussie faisait poindre l’espoir chez les patients condamnés. Les immenses avancées réalisées en matière de transplantation se voient aujourd’hui ralenties par la pénurie croissante d’organes. Coeurs mécaniques, organes créés en laboratoire ou par impression 3D ? De quoi sera fait l’avenir ?

Le 3 décembre 1967, Louis Washkansky, 54 ans, recevait le coeur de Denise Wallis, 22 ans, fauchée la veille sur une route d’Afrique du Sud. Le Dr Christiaan Barnard devenait le premier chirurgien à sauver un patient grâce à un coeur prélevé sur un autre être humain.

Pas plus de 60 secondes après avoir été prélevé, le petit organe reprenait ses pulsions dans le thorax du receveur, faisant mentir une récente série de transplantations marquées par l’échec. Washkansky succomba 18 jours plus tard à une infection, mais un pas gigantesque dans l’histoire de la médecine venait d’être franchi.

Après la mise au point de la ciclosporine il y a 30 ans, un immunosuppresseur, le nombre de greffés, morts prématurément en raison du phénomène de rejet, se mit à chuter de façon vertigineuse. Aujourd’hui, des dizaines de milliers de personnes doivent leur survie à une greffe cardiaque et des coeurs sont transplantés sur des patients de plus en plus âgés. En revanche, le vieillissement de la population, de plus en plus affectée par des maladies chroniques, a fait s’étirer le nombre des malades en attente d’une greffe cardiaque.

Une survie moyenne de 12 ans

« La greffe cardiaque n’est plus un traitement expérimental, la survie moyenne atteint désormais 12 ans. Ce qui nous limite, c’est l’insuffisance de donneurs », affirme le Dr Michel Carrier, chirurgien à l’Institut de cardiologie de Montréal et directeur du Département de chirurgie cardiaque à l’Université de Montréal.

Après un an, le taux de survie des patients atteint maintenant 90 %, 80 % après cinq ans, et 50 % après douze ans. « Ce n’est pas une panacée puisque la moitié meurt avant douze ans », soulève le chirurgien.

Le salut par la valve

 

Depuis les années 2000, c’est plutôt l’avènement des valves d’assistance ventriculaire VAD (ventricular assisted device) qui a révolutionné le domaine de la greffe et la survie des patients en attente d’un organe. En pompant le sang en lieu et place du coeur malade, ces pompes implantées chez plus de 40 000 personnes dans le monde sont devenues des « ponts vers la vie ». Elles permettent aux patients de survivre jusqu’au moment de leur trouver un coeur compatible.

« Certains patients ont vécu jusqu’à trois, quatre et cinq ans avec cela. Il s’en implante de 60 à 70 par année au Québec », explique le Dr Carrier.

La taille de ces valves mécaniques a fondu au fil des ans et, avec la miniaturisation, celles-ci pourraient d’ici quelques années devenir aussi simples à implanter qu’un cardiostimulateur — le pacemaker —, estime le chirurgien. Le médecin transplanteur voit plus d’avenir concret dans cette voie que dans celle de coeurs complètement artificiels. « Ces valves très fiables permettent de survivre avec un coeur malade et même, dans de rares cas, d’en améliorer les fonctions », explique le chirurgien.

Pénurie d’organes

Mais l’accès à la greffe cardiaque demeure toujours tributaire du nombre d’organes disponibles. Si le bassin de donneurs a légèrement crû en dix ans au Québec, le nombre de coeurs disponibles, lui, a peu fluctué, souligne le Dr Carrier. Les causes du décès rendent souvent les coeurs impropres à la greffe. Comment surmonter cette pénurie ?

Une partie de la réponse se trouverait dans un meilleure dépistage des donneurs potentiels, affirme le Dr Pierre Marsolais, fondateur du Centre de prélèvement d’organes (CPO) de l’hôpital du Sacré-Coeur de Montréal. Au Québec, le nombre de donneurs par million d’habitants oscille autour de 20, alors que la science évalue ce potentiel à 80 donneurs par million d’habitants. «Il faut aller chercher ces donneurs potentiels. Ce sont les structures d’accompagnement des familles et de prise en charge des donneurs dans les hôpitaux  qui manquent», soutient-il.

La science permet aussi maintenant de récupérer et « garder en vie » des organes autrefois considérés comme « inaptes » à la greffe. « J’ai déjà vu des poumons prélevés aux États-Unis, placés sous perfusion, puis déplacés en avion jusqu’à Toronto, avant d’être redirigés et transplantés à un patient américain. » Entre-temps, les recherches se multiplient pour trouver des solutions de remplacement au don d’organes.

« On est toujours en quête du Graal, celui de l’organogenèse qui vise à créer des organes à partir de cellules humaines», affirme la Dre Marie-Josée Hébert, néphrologue, spécialiste de la transplantation rénale et vice-rectrice à la recherche, à la découverte et à l’innovation de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal.

La médecine régénératrice à la rescousse

En 2013, des scientifiques généraient un « minicerveau » humain en développant en laboratoire des cellules pluripotentes, reprogrammées pour devenir des neurones, d’autres des embryons de coeurs et de rein. Des organes simples, comme le pavillon d’une oreille, ont été reproduits en combinant l’impression 3D à la culture de cellules de peau en laboratoire. La start-up californienne Organovo se targue de pouvoir imprimer des tissus de rein, de foie, de poumon, de vaisseaux sanguins, de coeur et de peau. La création de tissus humains aux fins de greffe n’est donc plus un scénario digne d’un film de Frankenstein.

Des organes in vitro

 

Des chercheurs du Québec, pionniers dans la culture de tissus de la peau, s’attaquent désormais à la culture de tissus de la cornée, de vaisseaux sanguins et même de valves cardiaques. « Les recherches sur la greffe d’épiderme et d’épithélium cornéen générés en laboratoire sont rendues à l’étape des essais cliniques chez l’humain », insiste la Dre Lucie Germain, directrice scientifique du LOEX, le Centre de recherche en organogenèse expérimentale de l’Université Laval.

On planche aussi sur la création de vaisseaux sanguins, créés à partir de cellules humaines ensemencées sur des substrats de plastique. Après avoir formé des matrices, ces couches de tissus sont ensuite roulées pour recréer des vaisseaux. « Ces vaisseaux sanguins parfaitement autologues pourraient éliminer le recours aux médicaments antirejet », explique la Dre Germain. Le même procédé appliqué au développement de valves cardiaques est rendu au stade préclinique.

« À terme, l’objectif est d’arriver à générer des organes, mais le coeur est un organe complexe. Il a fallu 30 ans pour développer la peau bioartificielle. En faudra-t-il 25 pour arriver à créer un coeur ? À moyen terme, c’est plus réaliste de penser que des parties d’organes seront créées grâce au génie tissulaire. »

Coeur: un organe recherché

Au Québec

Nombre de patients en attente d’un coeur
 
2007 46
2010 35 
2016 65 

Temps d’attente pour un coeur
 
2011 159 jours
2016 238 jours

Nombre moyen d’organes transplantés par donneur au Québec : 3,5 (2015)

Des dates importantes

1967 Première transplantation cardiaque réussie en Afrique du Sud

1985 Premier nouveau-né greffé du coeur en Californie. Le patient vit toujours.

1999 Premier essai d’un coeur artificiel aux États-Unis.

2013 Première implantation d’un coeur artificiel total en France, le coeur Carmat. Les patients sont tous décédés des complications.

8 septembre 2017 Une jeune fille britannique de 13 ans décédée d’un anévrisme détient le record historique du don d’organes, en sauvant huit patients en attente de greffe, dont le coeur et les poumons. (La moyenne mondiale est de 2,6.)

Source: Transplant Québec

 



À voir en vidéo