Les avancées de l’intelligence artificielle s’apprêtent à bouleverser la pratique médicale

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Au Centre de recherche du CHUM, le Dr An Tang, radiologiste, participe au développement d’un logiciel capable de dépister et d’analyser seul des tumeurs cancéreuses.

Des logiciels qui surpassent des radiologues dans le dépistage des tumeurs ou plus habiles à prédire l’évolution d’une scoliose que des médecins formés dans les meilleures universités ? L’arrivée de l’intelligence artificielle annonce une petite révolution dans la profession médicale. Adieu, stéthoscopes et rayon X, les secrets du diagnostic ne seront bientôt plus l’apanage des disciples d’Esculape.

Sur le bureau du Dr An Tang, radiologiste et chercheur au Centre de recherche du CHUM, un écran projette les tumeurs dépistées par un logiciel entraîné aux méthodes d’apprentissage profond. L’outil peut reconnaître seul les cellules malignes dans le foie et trier les tumeurs en fonction de leurs particularités.

Ces nouvelles machines au potentiel décuplé sont sur le point de chambouler la médecine et de reléguer l’image du bon Dr Welby et de plusieurs spécialités aux livres d’histoires, pensent plusieurs analystes.

Parmi eux, les radiologistes et les pathologistes. Des spécialités médicales dont une grande part du travail consiste en l’analyse d’images ou de tissus. Or, des études menées aux États-Unis avec de superlogiciels entraînés aux méthodes d’apprentissage profond ont démontré que ces « médecins virtuels » pouvaient battre à plate couture de doctes comités de dermatologues dans le dépistage des mélanomes (cancers de la peau).

Il est clair que les spécialités plus techniques vont un jour ou l’autre être remplacées

« Il est clair que les spécialités plus techniques vont un jour ou l’autre être remplacées », affirme Catherine Régis, professeure à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Pour une foule de médecins, le travail diagnostique sera chambardé par la reconnaissance automatisée des pathologies. La société IBM vend déjà à des hôpitaux son superlogiciel Dr Watson capable, lorsque connecté aux millions de données de patients, de poser des diagnostics en des temps records.

Comment ? « Grâce aux données, ces machines emmagasinent l’expertise de millions de cas pour apprendre à diagnostiquer les nouveaux patients. Même en 40 ans de pratique, un médecin ne peut être exposé à autant de situations et arriver à une telle précision », ajoute la titulaire de la Chaire du Canada en politique collaborative du droit des politiques de santé.

Ces outils qui carburent à l’IA dépistent non seulement des tumeurs invisibles aux yeux expérimentés, mais les classent en catégories qui échappent à l’observation humaine. « Le volume précis d’une tumeur ou sa texture peut aider à prévoir son évolution. Les machines peuvent faire cela très facilement, mais pas nous », explique humblement le Dr Tang, qui applique les techniques de reconnaissance de l’image au dépistage du cancer du foie. « Le logiciel apprend à reconnaître les formes, puis les organes, puis finit par dépister lui-même les tumeurs », dit-il.

Super médecins

 

Mais ce n’est pas demain la veille que les ex-confrères de Gaétan Barrette se retrouveront au chômage, pense ce radiologue. « Il faut un pilote dans l’avion ! pense le Dr Tang. Notre travail va changer. Les tâches techniques et répétitives seront moins importantes. Nous deviendrons davantage des radiologistes d’intervention », pense le chercheur, qui croit que ces outils pourraient être très utiles pour cibler, parmi les radiographies de milliers de patients, celles que les radiologues devraient lire en priorité, affirme le Dr Tang.

Dans son laboratoire, le professeur à Polytechnique Samuel Kadoury travaille lui aussi à entraîner des logiciels, dont un capable de déterminer si de jeunes patients atteints de scoliose auront besoin ou pas d’une grande chirurgie. Les logiciels prédictifs, alimentés par des milliers de données et d’images, sont parfois plus performants que les médecins pour prédire l’évolution probable d’une maladie, y compris de troubles mentaux ou neurologiques.

Des logiciels sont déjà utilisés pour prédire si des patients sont atteints d’un début d’Alzheimer ou de déficits cognitifs mineurs. L’Institut neurologique de Montréal a entraîné l’année dernière un logiciel d’apprentissage profond à prédire si de jeunes bébés étaient susceptibles de développer des troubles de l’autisme.

« En plus des images, les logiciels analysent l’ensemble des notes médicales de milliers de dossiers, les médicaments reçus et l’évolution de la maladie, puis font des prédictions », affirme le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en imagerie médicale et en radiologie d’intervention. Loin de les faire disparaître, ces puissants outils, grâce au forage de données, transformeront plutôt les docteurs en « super médecins ».

Écueils en vue

 

Mais la technologie a beau exister, son usage répandu se heurte encore à une foule d’obstacles juridiques, éthiques et économiques. Qui sera responsable en cas d’erreur diagnostique ? Un robot ? L’usage de données soulève aussi l’enjeu de la confidentialité des informations personnelles, ainsi que celles du consentement aux soins et de l’acceptabilité sociale. « Un système plus performant, pense Catherine Regis, pourrait être jugé insatisfaisant par les patients. »

Et dans un système de santé déjà exsangue, ajoute-t-elle, que penser des sommes colossales à investir pour développer ces machines, alors que « des services de base, comme les soins à domicile ou les bains dans les CHSLD, ne sont toujours pas comblés ? »

Pour bien des médecins, le spectre de l’IA demeure une lointaine réalité. Y compris pour le Collège des médecins, dont le comité éthique n’a pas encore adopté de position officielle sur la question, mais entend mettre ce sujet épineux à son programme pour 2018.

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