Une banque d’images créée pour déboulonner les idées préconçues sur les sexes

Et si l’éducation à la sexualité se délestait des images stéréotypées et des clichés irréalistes qui circulent dans les salles de cours pour dépeindre les sexes, les genres et l’humain dans son plus simple appareil ?
Petites fesses, longs pénis, seins flasques et sexes poilus. Présenter des sexes en tous genres, de manière frontale, sans fard, tel est le projet audacieux d’État brut : corps sexués, une banque de 319 clichés haute définition proposée par le collectif Les 3 sex pour en finir avec les images propres et aseptisées des manuels d’anatomie ou celles de la pornographie populaire.
L’organisme communautaire Les 3 sex, investi dans l’éducation à la santé sexuelle et la mobilisation de la communauté universitaire autour d’enjeux de société à caractère sexuel, veut bousculer les préjugés en lançant cette banque dont les clichés frappent et étonnent.
Alertées par le manque de diversité des modèles et des types physiques présentés dans les outils pédagogiques, les fondatrices des 3 sex ont décidé de lancer un appel à la communauté sur les réseaux sociaux pour dénicher des volontaires en tous genres acceptant de dévoiler leurs parties les plus intimes au bénéfice du plus grand nombre.
« Les gens devaient décrire de façon précise leurs organes génitaux, leurs caractéristiques physiques et en quoi leurs corps pouvaient représenter la diversité », explique Marion Bertrand-Huot, une des fondatrices des 3 sex.
Les instigatrices du projet tenaient à ce que des gens de tous âges, genres et origines participent à cette encyclopédie sexologique en images, afin d’obtenir un arc-en-ciel de sexes et de morphologies. Résultat : une série de clichés crus, déclinant torses, fessiers et organes génitaux, présentés sous tous leurs angles, de manière totalement décomplexée.
Quand on ne parle pas de sexe tous les jours, ces images peuvent être un peu choquantes. C’est encore difficile en 2017 de voir des vulves et des pénis de vraies personnes. Mais pour nous, ça se défend quand c’est intégré à un processus éducatif qui aide à lutter contre l’ignorance, les préjugés et les stéréotypes.
« Dans les corps, il y a beaucoup de diversité. Nous avons tenu à ce qu’il y ait des photos d’hommes et de femmes de tous âges, mais aussi de personnes trans, de personnes non linéaires, de sujets avec des incapacités, des chirurgies, des femmes ayant subi des vaginoplasties. Bref, une multitude de sexes qui rendent compte de la diversité », explique la porte-parole du projet.
Plus qu’une diversité sexuelle, raciale ou générationnelle, la banque comporte également des photos de sexes en érection et des plans rapprochés sur l’intérieur de sexes féminins et d’anus. Pour la fondatrice des 3 sex, il importe de montrer les sexes tels qu’ils sont dans la réalité, tant pour éduquer la population que pour faire tomber les préjugés et les stéréotypes.
« Quand des jeunes filles de 12 ans sont déjà complexées par l’apparence de leurs lèvres car les seuls modèles qu’elles voient, ce sont les films pornographiques où les femmes ont des sexes avec de petites lèvres, je crois que ces images sont importantes. En fait, elles ne savent pas à quoi ressemble un sexe féminin dans la vie de tous les jours », relate Marion Bertrand-Huot.
Même chose pour les personnes issues de diverses communautés ethniques qui ne s’identifient pas aux modèles présentés dans les classes ou les campagnes de sensibilisation. « Une femme asiatique nous a confié qu’elle a décidé de se porter volontaire, car elle ne s’était jamais reconnue dans les modèles physiques présentés à l’école », ajoute-t-elle.
Outils réalistes
D’ailleurs, la représentativité de certains types physiques demeure un défi, affirme la fondatrice des 3 sex, puisqu’il s’est avéré très difficile de recruter des personnes d’origine arabe ainsi que des femmes plus âgées.
Dénué de l’esthétisme habituel ou des clichés convenus de ce type d’images, le bouquet présenté par État brut peut s’avérer très déstabilisant tant pour les professeurs que pour les jeunes, admet la sexologue. Mais il importe de donner des outils réalistes et pertinents pour combler les lacunes des jeunes en matière d’éducation à la sexualité.
« Quand on ne parle pas de sexe tous les jours, ces images peuvent être un peu choquantes. C’est encore difficile en 2017 de voir des vulves et des pénis de vraies personnes. Mais pour nous, ça se défend quand c’est intégré à un processus éducatif qui aide à lutter contre l’ignorance, les préjugés et les stéréotypes. »
Pour la porte-parole des 3 sex, ces images crues ne sont pas rebutantes, mais plutôt « documentaires et très objectives ». Quand des professeurs d’université doivent se rabattre sur The Big PenisBook pour donner leurs cours, c’est qu’il y a un problème d’objectivité et d’accès à de la documentation crédible, lance Marion Bertrand-Huot.
Quelques jours après le lancement d’État brut : corps sexués, la banque d’images avait été téléchargée 328 fois, preuve de l’intérêt suscité par cet outil dont la distribution sera sérieusement contrôlée et réservée à des fins éducatives, assure le collectif. Si des professeurs d’université s’y intéressent, aucun enseignant du secondaire n’a pour l’instant demandé à y avoir accès. « Beaucoup de professeurs de secondaire se voient imposer d’enseigner l’éducation à la sexualité à l’école et n’ont déjà pas le goût de plonger là-dedans. Notre but n’est pas que cela se ramasse partout. Les gens peuvent choisir les photos et utiliser seulement celles qu’ils jugent pertinentes », précise Marion Bertrand-Huot.
Pour Florence Valiquette-Savoie, sexologue et cofondatrice du site reflechiraca.co, avec Estelle Cazelais, qui diffuse sur le Web des capsules vidéo d’éducation sexuelle destinées aux jeunes, les clichés proposés par État brut, téléchargés par son organisme, seront fort utiles. « Cette multiplicité biologique, pour nous, c’est très pertinent. Ça nous permet de sortir des images pornos trop propres et irréalistes. Je trouve plus pertinent de montrer de vrais corps que des images qui ne correspondent à rien, même si ça peut susciter des réactions et de la gêne ! » affirme celle qui donne des ateliers d’éducation sexuelle dans les écoles primaires. « Il faut par contre que ce soit amené dans un contexte précis, avec des discussions », note-t-elle.
Inspirée par la Norvège, où les émissions très explicites sur la sexualité destinées aux jeunes de 12 ans abondent au petit écran, la coprésidente et éditrice de la revue Les 3 sex estime aussi que le réalisme des photos proposées est beaucoup moins offensant que ce que bien des adolescents peuvent retrouver en deux clics sur Internet.
« Tout ce que les jeunes ont comme modèle, c’est souvent ce qu’on retrouve sur Internet. Ça prend trois secondes pour avoir accès à n’importe quoi de plus sexué, et à du matériel pornographique explicite. Donc je crois que le risque de voyeurisme est vraiment très limité. »