Entre libido et tendresse

Le film suit ces escortes qui aident les personnes handicapées à se «reconnecter» avec leurs corps.
Photo: TV5 Le film suit ces escortes qui aident les personnes handicapées à se «reconnecter» avec leurs corps.

Vaste tabou que celui de la sexualité des personnes handicapées. Le documentaire Rencontres particulières jette un regard sensible sur l’intimité de ceux qui choisissent de faire appel à des « assistantes sexuelles » pour mettre fin à l’abstinence forcée. Histoires intimes.

On voit d’abord Angelo sur scène devant un micro, assis dans son fauteuil roulant, livrant son numéro, le débit ralenti par la paralysie cérébrale. Devant lui, une foule hilare s’éclate. « Ce que j’aime dans le fait d’être Italien, c’est que nos noms fittent avec notre personnalité. Moi, c’est Angelo : un être spirituel qui n’a pas de sexe. »

Cet être asexué, c’était lui. Avant qu’il ne trouve le cran de monter sur scène pour faire la comédie. Avant qu’il ne recoure à une assistante sexuelle pour apporter un peu de normalité à sa vie d’ascète sensoriel.

Handicapé depuis la naissance, Angelo fait partie de ces personnes pour qui le sexe est longtemps resté un continent inaccessible. Pour qui le quotidien s’écoulait sans érotisme ou orgasme, sans toute autre forme de toucher que la main glaciale d’un préposé ou d’un médecin lors d’un examen médical.

« Est-ce que je vais mourir sans avoir vécu ça ? » se demande Angelo, personnage central de Rencontres particulières, ce documentaire de Mathieu Vachon qui témoigne de la misère sexuelle vécue par de nombreuses personnes handicapées et des moyens choisis pour obtenir un soupçon de sensualité.

C’est en multipliant des entrevues avec des escortes que le réalisateur a découvert cette autre facette de la vie de celles que l’on associe communément à la prostitution. « J’ai réalisé que des escortes consacraient beaucoup de leurs temps à des personnes handicapées. Elles me parlaient de ces clients de façon tendre et attentionnée, ça a brisé tous mes préjugés sur les escortes. J’ai réalisé qu’il y avait là un univers méconnu », raconte Michaud.

Conscient de naviguer aux frontières de nombreux tabous, dont celui de la marchandisation du corps des femmes et de la prostitution, le réalisateur choisit d’aborder de manière frontale la réalité des « assistantes sexuelles » payées pour aider des personnes souffrant d’un handicap à se « reconnecter » avec leurs corps.

C’est la question que soulève Micheline, la mère de Gabriel, jeune adulte confiné dans un fauteuil roulant par une maladie dégénérative. À tort, bien des gens croient les personnes handicapées dénuées de toute libido, en raison de leur handicap, dit-elle. « [Gabriel] voulait vraiment connaître le sexe. On a rien trouvé au Québec [contrairement à ce qu’il existe dans d’autres pays], on a pris rendez-vous avec une escorte », raconte cette mère, consciente d’aller à l’encontre des lois canadiennes.

Sexe légal

 

Dans plusieurs pays, l’assistance sexuelle est désormais considérée comme une forme d’aide thérapeutique. C’est notamment le cas en Suisse, où, depuis 2003, il s’agit d’un métier légal et reconnu. Dispensés par des thérapeutes formés, ces services sont gérés par des organismes d’aide aux personnes handicapées qui dirigent les requérants vers des thérapeutes. De la caresse à la masturbation, le coût de ce supplément d’amour oscille autour de 162 euros l’heure.

Regain d’estime de soi, amélioration des relations interpersonnelles et sexuelles : les associations attribuent beaucoup de bénéfices à cette forme d’aide. « De l’avoir vécu, ça m’a fait grandir. Je n’aurais jamais fait de l’humour comme je le fais là », confie Angelo, dans le documentaire. Ce genre d’échanges est aussi toléré aux Pays-Bas, en Allemagne, au Danemark. En République tchèque, seul pays de l’ex-bloc de l’Est où est apparu ce genre d’aide, l’organisme Plaisir sans risques propose massage, formation à la sexualité, baisers et étreintes, mais sans relation orale ni pénétration.

Chose certaine, à l’heure actuelle, le recours aux escortes reste souvent la seule issue pour les handicapés. Mais toutes ne sont pas « ouvertes » comme celles croisées par Gabriel ou Angelo, comme nous l’apprend tristement Alex, 23 ans, que le caméraman a suivi dans le secteur Sainte-Catherine et Saint-Laurent. « J’ai suivi une fille dans une ruelle. » Cette fille l’a déshabillé, l’a laissé languir nu dans son fauteuil roulant pendant 30 minutes, avant de revenir lui griffer le corps et le sexe.

Un travail ordinaire ?

Des voix s’élèvent contre ces services tarifés qui, en fin de compte, aboutissent à la « marchandisation du corps ». En France, même si des regroupements d’aide aux personnes handicapées demandent la légalisation de ce type d’aide, le Comité national d’éthique a rejeté la reconnaissance légale des assistantes sexuelles. Il n’existe rien de tel qu’un « droit à l’orgasme », décrient de leur côté des associations de lutte contre l’exploitation sexuelle.

« L’aide sexuelle est une réponse à un problème complexe. Ces expériences peuvent être bénéfiques, mais ne règlent pas tout. Il ne faut pas être naïfs non plus. Des pimps, ça existe, et des escortes exploitées aussi. Décriminaliser, je n’y crois pas. Je crois plutôt à une troisième voie, comme celle retenue aux États-Unis », estime Mathieu Vachon.

Le réalisateur braque en effet sa caméra sur une association californienne d’aide aux handicapés, où thérapeutes et « aidants » — autant des hommes que des femmes — travaillent en collaboration à l’amélioration globale de la sexualité, mais aussi de l’autonomie personnelle. Cette association n’a ailleurs pas que des clients masculins handicapés en mal d’amour, mais des personnes présentant toutes sortes de difficultés, dont 35 % de femmes.

Un peu de tendresse, bordel

 

« La misère sexuelle est vécue par toutes sortes de gens, de sexe et d’âge divers, pas juste des personnes handicapées », relance le réalisateur au terme de son expérience.

D’ailleurs, ce mal de sexe n’est-il pas le symptôme d’un besoin encore plus criant : le manque de tendresse et de relations humaines ? « Sûrement, confie le réalisateur. D’ailleurs, plusieurs aimeraient finalement avoir une blonde. Je sais que ce sujet soulève des questions sensibles, mais le but n’était pas de juger ou de prendre parti pour ou contre la prostitution. J’espère avoir créé une brèche pour parler de l’isolement et de la vulnérabilité des personnes handicapées et des très grandes difficultés rencontrées pour entrer en relations. »

Rencontres particulières

Réalisateur: Mathieu Vachon, Diffusion: 11, 13 et 17 avril, à TV5

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