Les Québécoises n’ont toujours pas accès à la pilule abortive

Bien que la pilule abortive soit autorisée depuis juillet 2016 et théoriquement disponible depuis janvier au Canada, les Québécoises n’y ont toujours pas accès. De multiples embûches ralentissent le processus.
Quels médecins seront autorisés à la prescrire ? Sa distribution impliquera-t-elle les pharmaciens ? Quel sera le suivi médical ? Sera-t-elle gratuite ?
Sans trancher ces questions épineuses ni formuler de recommandations, l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) a mis en ligne un avis la semaine dernière. L’organisme-conseil conclut que le Mifegymiso, de son nom commercial, est efficace et sécuritaire, mais il ne précise pas comment le produit devrait être distribué.
La directrice de la Direction du médicament de l’INESSS, Sylvie Bouchard, estime avoir rempli son mandat. Elle renvoie la balle au ministre de la Santé, Gaétan Barrette. « On sait que c’est un sujet délicat. Il y a encore de grands pans de mur à regarder. Mais c’est du côté du ministre », a-t-elle affirmé en entrevue au Devoir. « Notre mandat était d’éclairer le ministre. C’est à lui de décider s’il va rendre le produit accessible et comment. »
L’INESSS est notamment dans l’impossibilité de déterminer le coût de la procédure en comparaison de l’avortement chirurgical. Par contre, il semble peu probable que la disponibilité de la pilule abortive augmente le nombre total d’avortements. « L’effet probable est un accroissement des avortements plus hâtifs », indique Mme Bouchard.
La directrice des communications du ministre Gaétan Barrette, Marie-Ève Morneau, indique que ce dernier n’a pas encore pris connaissance de l’avis de l’INESSS, raison pour laquelle il ne pouvait le commenter, mercredi.
La réflexion des ordres professionnels toujours en cours
Les trajectoires de soins doivent être proposées par le Collège des médecins et l’Ordre des pharmaciens, puis approuvées par Québec. « Si les travaux des ordres professionnels soulèvent de nouveaux enjeux, il est possible que nous devions mener des travaux complémentaires à la demande du ministre », croit Mme Bouchard. Bref, d’autres délais sont possiblement à prévoir.
Tous les jours, des femmes nous en parlent. Certaines veulent vraiment avoir cette option, même si la plupart préfèrent un avortement chirurgical.
Le Collège des médecins (CMQ) et l’Ordre des pharmaciens (OPQ) poursuivent leurs travaux. Ils n’ont pas encore déterminé de date de rencontre pour soumettre leurs conclusions au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).
« Ce délai s’explique par le fait que ce dossier contient de nombreux enjeux complexes à plusieurs niveaux », indique la responsable des communications du CMQ, Leslie Labranche.
Du côté de Québec, on indique que « l’état des connaissances de l’INESSS ainsi que les travaux des deux ordres permettront éventuellement au MSSS de statuer sur l’accès et l’organisation des services entourant la pilule abortive », a indiqué la porte-parole du MSSS Marie-Claude Lacasse.
Un choix que les femmes demandent
« Tous les jours, des femmes nous en parlent. Certaines veulent vraiment avoir cette option, même si la plupart préfèrent un avortement chirurgical », souligne France Désilet. La directrice de la clinique Morgentaler, à Montréal, a hâte de pouvoir leur offrir cette possibilité, même si elle croit qu’il n’y a pas « urgence » puisque, au Québec, l’avortement est accessible dans toutes les régions.
Le Dr Jean Guimond estime que l’opposition des différents intérêts corporatistes ralentit ce dossier. Celui qui coordonne les interruptions volontaires de grossesse au CLSC des Faubourgs, à Montréal, mentionne notamment le problème de la distribution. Les femmes devront-elles aller à la pharmacie remplir leur prescription, puis revenir prendre le comprimé devant le médecin, comme l’exige Santé Canada ?
« Ce ne sont pas tous les pharmaciens qui sont à l’aise avec l’avortement. Il n’est pas impossible que certains refusent de remplir la prescription », s’inquiète-t-il.
Il croit que seules les cliniques qui pratiquent actuellement des avortements chirurgicaux devraient pouvoir administrer l’avortement par médicament. « Les femmes doivent pouvoir faire un choix éclairé sur la méthode, et donc avoir accès aux deux options », croit aussi France Désilet. Comme le processus peut prendre de 6 à 24 heures, ce ne sera pas une option qui plaira à une majorité de femmes, soutient-elle.
Par contre, si seules les cliniques actuelles distribuaient la pilule abortive, on passerait à côté de l’objectif d’élargir l’accès à l’avortement, notamment en région.
Réflexion à Ottawa
Alors que Justin Trudeau annonçait un investissement pour la santé sexuelle et reproductive des femmes dans les pays en voie de développement, le 8 mars aurait été une bonne occasion de rendre la pilule abortive gratuite à travers le pays, souligne le Dr Guimond.
Questionné à ce sujet, M. Trudeau a affirmé que Santé Canada s’était « saisi » de la question de la disponibilité de la pilule abortive. Les restrictions imposées par Ottawa dans l’administration du Mifegymiso ont été critiquées. Le CMQ et l’OPQ se sont dits « préoccupés » par certaines de ces exigences, comme l’obligation de prendre le médicament devant un médecin.
Santé Canada a confirmé au Devoir avoir reçu une demande de modification concernant la distribution et l’administration du médicament. Cette demande est à l’étude.
À l’échelle canadienne, seulement cinq cliniques et quelques pharmaciens se sont procuré la pilule abortive depuis janvier, selon le Globe and Mail. Comme au Québec, la distribution et la couverture du produit ralentissent sa mise en disponibilité.
Ailleurs au pays, les femmes peuvent payer pour la pilule abortive, qui coûte environ 300 dollars. Au Québec, un jugement de la Cour supérieure de 2006 a statué que l’avortement doit être accessible gratuitement. Le gouvernement a même dû verser plus de 13 millions de dollars aux femmes qui avaient eu à payer par le passé. Mais Québec n’a toujours pas confirmé s’il considère que l’avortement médicamenteux est couvert par ce jugement, auquel cas le médicament devrait être entièrement gratuit.