Pas si simple, la pilule abortive

Un an après avoir obtenu l’autorisation de mise en marché par Santé Canada, la pilule abortive n’est toujours pas disponible pour les femmes canadiennes. Le fabricant refuse d’expliquer la raison de ces délais dans la mise en marché. Certains commencent à s’impatienter, alors que différents groupes s’activent dans l’ombre pour permettre une distribution plus souple que ce qui est présentement autorisé.
« Comme praticiens, on trouve que c’est long, plus d’un an pour mettre un médicament en marché alors qu’il est déjà approuvé », affirme la Dre Édith Guilbert, clinicienne-conseil à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).
C’est que la pilule abortive est attendue depuis longtemps au Canada. Dans plusieurs pays d’Europe, et même aux États-Unis, elle est disponible depuis des années, voire des décennies.
Au Canada, l’approbation du Mifegymiso fut donnée par Santé Canada en juillet 2015, au terme de plusieurs années de débats et de controverse. À l’époque, le fabricant, Linepharma international, et son distributeur canadien, Celopharma, parlaient d’un lancement commercial pour janvier 2016. Le distributeur parle aujourd’hui d’une commercialisation pour l’automne prochain, sans expliquer pourquoi le produit se fait toujours attendre. « Il est malheureux que nous ayons eu des délais dans le lancement commercial, mais en même temps, cela permet de mieux développer le matériel requis tel que l’offre de formation, les brochures, etc. », se contente de répondre par courriel la porte-parole de Celopharma, Paula Tenenbaum.
C’est au fabricant de décider du moment de la mise en marché. Mais il y a des éléments externes à considérer. Et tout n’est pas encore parfaitement au point pour l’arrivée de la pilule abortive, selon la Dre Édith Guilbert. « Il y a un problème sur le plan de l’arrimage, particulièrement dans les [autres] provinces. »
Pas une pilule comme les autres
Il faut dire que Santé Canada a imposé des conditions de distribution et d’administration très strictes qui chamboulent les façons de faire. En effet, c’est le médecin qui doit non seulement prescrire le médicament, mais qui doit également l’administrer. Ainsi, une femme qui souhaite prendre la pilule abortive devra prendre la première dose dans le bureau de son médecin.
Ces précautions ne sont pas vaines, car la pilule abortive n’est pas une pilule ordinaire, prévient Anne-Marie Messier, directrice du Centre de santé des femmes de Montréal.
« Les gens pensent que c’est une petite pilule qu’on prend comme ça, comme la contraception d’urgence, et que l’avortement va se passer sans qu’on s’en rende compte. Un instant ! Ce n’est pas ça du tout ! La première dose, qui bloque la progestérone, on ne sent rien. Mais quand on prend la deuxième dose, c’est du sérieux. Ça provoque une fausse couche qui peut être douloureuse, avec des crampes et des saignements importants. Pour certaines femmes, ça se vit très bien, mais si elles ne sont pas bien informées, il y a des femmes qui paniquent. […] C’est pour ça qu’il faut donner toute l’information et faire un accompagnement correct. »
De toute façon, ajoute-t-elle, la femme doit quand même voir un médecin avant de prendre la pilule abortive, car il y a des contre-indications médicales. Il faut également faire un examen plus poussé pour connaître le nombre exact de semaines de grossesse, la pilule abortive devant être administrée dans les sept premières semaines.
Craintes des médecins
Or, plusieurs médecins ne sont pas à l’aise avec l’idée de stocker ou de vendre des médicaments, comme le révélait la CBC dans un reportage diffusé plus tôt cette semaine. Cela génère une crainte pour l’accès au médicament, en particulier dans les régions rurales. « Ça pose un problème dans au moins deux provinces, soit la Colombie-Britannique et le Manitoba, où les médecins n’ont pas le droit d’acheter ou de vendre des médicaments », précise la Dre Édith Guilbert de l’INSPQ.
Au Québec, l’Ordre des pharmaciens a entamé des démarches pour être impliqué dans le processus, de pair avec le Collège des médecins. « On est en train de valider un modèle avec Santé Canada où ce serait le pharmacien qui distribuerait le médicament, mais pas directement à la patiente », confirme la directrice générale de l’Ordre, Manon Lambert.
Selon ce modèle, c’est le pharmacien qui tiendrait les inventaires. Lorsqu’un médecin voudrait administrer une dose à une patiente, il enverrait une prescription au pharmacien qui pourrait alors préparer l’ordonnance et la livrer directement à la clinique, tout ça pendant que la patiente est dans le cabinet du médecin.
« Selon les discussions préliminaires qu’on a eues avec Santé Canada, ce serait faisable », soutient Mme Lambert.
En entrevue au Devoir, le directeur du Bureau des produits pharmaceutiques de Santé Canada, Marc Berthiaume, confirme que c’est une avenue envisageable. Il se dit même ouvert à ce que la vente de la pilule abortive puisse éventuellement se faire en pharmacie comme tous les autres médicaments, ainsi que le réclame le distributeur. « La balle est dans le camp de la compagnie […] Si le manufacturier soumet des données qui nous démontrent qu’une distribution par le pharmacien au patient n’entraîne pas de complications plus importantes, à ce moment-là, la position peut évoluer. Mais la position actuelle de Santé Canada est basée sur les données que le manufacturier nous a soumises. Ce n’est pas une objection de principe, c’est basé sur les données qui nous ont été fournies. »