Pas de comptes à rendre en cas de refus

Selon le ministère de la Santé, la proportion de demandes d’aide à mourir compte pour environ 2 % des décès dans les pays qui ont adopté des lois autorisant ce soin de fin de vie.
Photo: iStock Selon le ministère de la Santé, la proportion de demandes d’aide à mourir compte pour environ 2 % des décès dans les pays qui ont adopté des lois autorisant ce soin de fin de vie.

Les demandes d’aide à mourir qui ont avorté en cours de traitement ne font actuellement l’objet d’aucun examen poussé, même si une compilation réalisée par Le Devoir révèle que près de 60 % de l’échec des demandes non administrées découlerait de délais ou de ratés survenus durant le traitement de l’ultime requête faite par ces patients.

Selon les chiffres complets sur les demandes d’aide à mourir faites dans l’ensemble du Québec depuis décembre 2015, si on exclut les 16 patients qui se sont volontairement retirés du processus, 57 % des refus découlent de ce qui semble être une détérioration trop rapide de l’état de santé des patients pour que le processus soit complété.

En effet, sur ces cas de refus non attribuables à la volonté du malade, 19 patients sont décédés, 9 ont plutôt reçu la sédation palliative terminale et 7 sont devenus inaptes à consentir avant qu’on accède à leur demande. Plusieurs établissements évoquent des cas de patients en état de delirium. Somme toute, ces situations totalisent pas moins de 14 % des demandes totales d’aide à mourir.

Pourquoi ces refus?

 

Or, si la loi oblige la Commission sur les soins de fin de vie (CSFV) à examiner à la loupe chacun des rapports des médecins sur l’aide à mourir pour s’assurer que celle-ci a été accordée selon les conditions prévues par la loi, elle n’oblige ni les médecins ni les établissements à faire rapport lorsque des cas d’aide à mourir avortent en cours d’évaluation ou sont refusés.

Contactée mardi, la Commission sur les soins de fin de vie a confirmé qu’elle ne peut se pencher d’emblée sur les raisons et les circonstances de chacun des cas « non administrés », puisqu’elle ne reçoit aucun formulaire ni information à cet effet. Comme le prévoit son mandat, elle se penche plutôt sur les rapports médicaux exigés dans chacun des cas d’aide à mourir administrée.

D’ailleurs, la CSFV a écrit à de nombreux médecins ces dernières semaines, exigeant d’eux de justifier par écrit pourquoi ils avaient jugé qu’un patient était « en fin de vie » ou qu’il n’était pas « inapte à consentir ».

Pour certains médecins pratiquant l’aide à mourir, cette façon de faire n’a aucun sens si le but est de s’assurer que les droits des patients sont respectés en toutes circonstances. Par son silence, la loi permet que subsiste une zone d’ombre sur les demandes qui échouent en cours de processus ou qui font l’objet d’un refus. C’est du moins ce qu’estime le Dr Alain Naud, un médecin du CHU de Québec qui a reçu pas moins de sept ou huit lettres de la CSFV ces derniers mois. Dans un cas, on lui a demandé de préciser pourquoi il avait jugé un patient apte à consentir, et ce, même s’il avait requis l’opinion d’un psychiatre et d’un oncopsychiatre pour attester de la capacité d’un patient à prendre une décision éclairée.

« On s’acharne sur les médecins qui participent à rendre l’aide à mourir accessible, mais s’assure-t-on que des délais indus n’ont pas été imposés aux patients qui sont morts ou devenus inaptes pendant qu’on traitait leur demande ? Comment s’assure-t-on que ceux qui ont changé d’avis l’ont fait façon de façon libre ? » soulève le Dr Naud.

Dans une lettre publiée dans Le Devoir , ce dernier demande au ministre de la Santé, Gaétan Barrette, de « mettre en place des mécanismes d’évaluation pour toutes les demandes d’aide à mourir », qu’elles aient suivi ou non leurs cours.

« Est-il possible que des délais aient été imposés volontairement à ces malades souffrants en espérant qu’ils changent d’idée, deviennent inaptes ou décèdent entre-temps ? » souligne le médecin, qui s’inquiète que le taux de demandes non administrées au Québec dépasse les 30 %. « À l’heure actuelle, tous ces refus restent des statistiques anonymes. Je ne crois pas qu’il faille sabler le champagne et dire : “ Bravo, la loi comporte des garde-fous. ” Il faut se pencher sur les causes de ces taux de refus », ajoute le Dr Naud.

Des chiffres qui parlent

 

Selon une compilation de la totalité des rapports remis par les établissements du Québec réalisée par Le Devoir, 252 personnes ont réclamé l’aide médicale à mourir depuis le 10 décembre dernier, et 166 l’ont reçue.

Dans près de 34 % des cas, soit 85 patients, l’aide médicale à mourir n’a pas été administrée, ce qui confirme la tendance soulignée en juin dernier par Le Devoir, grâce à des données partielles. Dans 16 cas, les patients ont changé d’idée en cours de processus, ce qui représente moins de 7 % des demandes totales et un cinquième des demandes non administrées.

Dans 27 cas seulement, soit près de 11 % des demandes totales, il y a eu refus parce que les patients ne correspondaient pas aux critères de la loi. Rappelons que le patient doit être majeur, apte à consentir aux soins et être en fin de vie. Atteint d’une maladie incurable et grave, le patient doit vivre un déclin « avancé et irréversible » de ses capacités et éprouver des « souffrances physiques ou psychiques constantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions jugées tolérables ».

Une demande marginale

L’analyse des rapports sur l’aide à mourir révèle en outre que pendant la même période, 249 personnes ont reçu la sédation palliative terminale — une procédure qui plonge le patient dans un coma irréversible menant à la mort —, soit à peu près le même nombre que celles ayant requis l’aide médicale à mourir. Somme toute, l’aide à mourir demeure pour l’instant marginale : elle ne compte que pour 0,6 % du nombre total de soins palliatifs déclarés par les établissements dans ce premier rapport.

Sur le total des décès prévus en six mois, l’aide à mourir représenterait en fait moins de 5 décès sur 1000 pour l’instant, si l’on extrapole les données de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) qui font état de 65 000 décès en 2015. Selon le ministère de la Santé, la proportion de demandes d’aide à mourir compte pour environ 2 % des décès dans les pays qui ont adopté des lois autorisant ce soin de fin de vie.
 

 


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