La création d’embryons pour la recherche, une pratique délicate

Un embryologiste effectue une observation dans une clinique de fertilité à New York.
Photo: Richard Drew Associated Press Un embryologiste effectue une observation dans une clinique de fertilité à New York.

Les Pays-Bas viennent d’autoriser la production d’embryons à des fins de recherche scientifique pour résoudre les problèmes d’infertilité, les échecs de la reproduction médicalement assistée ou prévenir les maladies héréditaires. Sans être un précédent, cette position marginale détonne par rapport à celle de pays industrialisés qui sont beaucoup moins permissifs.

Au Canada, en France et en Australie, les scientifiques ne sont autorisés à mener des recherches sur des embryons humains que si ceux-ci ont été créés par fécondation in vitro (FIV) pour la procréation assistée, et à la condition qu’ils ne fassent plus l’objet d’un projet parental ou que les parents aient donné leur consentement. Ces pays ont pour la plupart ratifié la convention internationale d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine qui interdit la constitution d’embryons à des fins de recherche.

Quelques pays, notamment l’Allemagne et l’Italie, sont toutefois encore plus restrictifs que le Canada et ses semblables, et bannissent toute utilisation d’embryons à des fins autres que procréatives.

Pays plus permissifs

 

Certains pays, tels que le Royaume-Uni, la Belgique, la Suède, Israël, Singapour, le Japon et la Chine, sont par contre plus souples, car ils acceptent la création d’embryons spécifiquement pour la recherche. Cette autorisation ne vaut que pour les recherches menées sur les embryons de moins de 14 jours, et ces derniers ne peuvent être implantés chez une femme dans le but d’induire une grossesse.

À l’avant-garde, le Royaume-Uni est le premier à avoir autorisé, en février 2016, l’« édition du génome » des embryons humains dans le cadre de projets de recherche visant à prévenir des maladies génétiques en corrigeant les gènes qui en sont responsables. Le Royaume-Uni interdit toutefois d’implanter ces embryons modifiés chez une femme dans le but d’induire une grossesse et de donner naissance à un enfant.

« La plupart des pays s’opposent à ce genre de manipulation du génome, et ce, surtout si les embryons manipulés sont susceptibles d’être implantés chez une femme, car cela implique la transmission de nouveaux caractères à la descendance et la modification du patrimoine génétique de l’humanité. Cette technologie est potentiellement révolutionnaire parce qu’elle permet de prévenir la maladie non seulement chez un enfant en particulier, mais aussi chez tous ses futurs enfants. L’avantage est potentiellement énorme, mais, en même temps, cette manipulation pourrait modifier le cours de l’évolution, ce qui fait peur à plusieurs », fait remarquer Vardit Ravitsky, bioéthicienne à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

Faut-il s’inquiéter de la décision des Pays-Bas ?

Tout dépend de la position éthique affichée à l’égard des embryons et du statut qui leur est accordé, poursuit la chercheuse. « Si, à l’instar des chrétiens, on considère les embryons comme des êtres humains qui ont des droits ou un statut moral, alors le fait de créer un tel être pour ensuite le détruire lors d’expérimentations de recherche est problématique. Si on est complètement contre la destruction des embryons peu importe qu’ils aient été créés à des fins de procréation assistée ou de recherche, on interdira toute recherche sur les embryons. »

Par contre, « si on est un peu moins strict sur le statut moral de l’embryon, on peut argumenter que créer des embryons pour ensuite les détruire est d’un point de vue éthique plus grave que d’utiliser les embryons qui sont déjà dans le congélateur pour faire quelque chose d’utile, comme améliorer les chances que d’autres embryons s’implantent correctement. D’autres considèrent que ces embryons âgés de moins de 14 jours ne sont pas des êtres humains, ou des entités dotées d’un statut moral, puisqu’ils ont été produits in vitro et non pas au cours d’une grossesse naturelle », explique Mme Ravitsky, qui considère les objectifs de la recherche comme déterminants pour cautionner l’utilisation des embryons.

On a pensé pouvoir se passer des cellules souches extraites d’embryons en étudiant les cellules souches présentes chez l’adulte [...]. Mais ce n’est pas suffisant si on veut étudier le développement embryonnaire.

 

« Si ces objectifs sont bons et visent, par exemple, à améliorer la procréation médicalement assistée ou les chances de succès des grossesses, l’utilisation d’embryons surnuméraires ou créés spécifiquement pour la recherche est à mes yeux éthiquement acceptable », déclare-t-elle.

La grande question reste de savoir s’il est possible de mener ces recherches sans créer des embryons spécifiquement pour celles-ci, notamment en utilisant des cellules souches. « On a pensé pouvoir se passer des cellules souches extraites d’embryons en étudiant les cellules souches présentes chez l’adulte et en s’appliquant à les rendre aussi totipotentes que les cellules embryonnaires. Mais ce n’est pas suffisant si on veut étudier le développement embryonnaire, par exemple. Dans ce dernier cas, nous n’avons pas d’autres moyens que de créer de nouveaux embryons pour mener ce type de recherches », affirme Mme Ravitsky.

Cette dernière croit que les chercheurs pourraient toutefois s’obliger à concevoir des embryons qui auraient été génétiquement manipulés pour ne pas se développer au-delà d’un certain stade. « Ce serait une manière de s’assurer qu’ils ne peuvent être utilisés pour induire une grossesse. Pour certains, ce serait plus éthiquement acceptable de travailler sur ce genre d’embryons qui n’auraient pas le potentiel d’une vie humaine. »

Mais la bioéthicienne voit un problème éthique associé à la création d’embryons à des fins strictement de recherche. « Pour produire de tels embryons, nous avons besoin d’ovules. Or, les ovules humains sont une ressource rare et leur obtention implique certains risques médicaux pour la femme chez laquelle on les extrait », rappelle-t-elle.

Jusqu’où irons-nous ?

« Si l’intention de développer et de faire progresser les connaissances sur le développement embryonnaire et d’éviter la transmission de maladies génétiques est louable, jusqu’où irons-nous ? » s’inquiète pour sa part Édith Deleury, professeure émérite de droit à l’Université Laval et présidente de la Commission de l’éthique en science et en technologie du Québec. À ses yeux, le fait que l’on ne permette pas d’implanter ces embryons est déjà une première barrière. « Mais à partir du moment où nous ferons des découvertes, que les connaissances progresseront, nous serons tentés d’implanter ces embryons. Ces avancées appelleront d’autres questionnements, d’autres ouvertures à propos desquelles il faudra se positionner en tant que société », fait-elle remarquer.

Mme Deleury s’inquiète aussi du nombre d’embryons qu’il sera nécessaire de créer pour faire des découvertes. « Ce n’est pas en produisant une dizaine d’embryons qu’on arrivera à quelque chose », dit-elle, dubitative quant à la réelle nécessité de produire de nouveaux embryons pour la recherche sur l’infertilité. « La recherche sur l’infertilité devrait peut-être se pencher davantage sur les causes environnementales et sur le fait que les femmes ont leurs enfants beaucoup plus tard qu’auparavant en raison de la conciliation travail-famille. »

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