Un service victime de la nouvelle grille tarifaire

À Saguenay, le service Jonquière-Médic, qui effectue plus de 11 000 visites médicales « d’urgence » à domicile par an, est en péril. La raison ? La nouvelle façon de rémunérer les omnipraticiens à compter du 1er juin favorise la prise en charge, mais décourage les médecins de pratiquer uniquement en sans rendez-vous ou de faire des examens annuels, jugés inutiles.
Un changement de paradigme qui bouleverse les façons de faire.
« Le service est devenu indispensable dans la municipalité », a lancé un de ses médecins fondateurs, le Dr Roger Gagnon, en conférence de presse à Saguenay lundi.
En entrevue, le Dr Gagnon explique que le simple fait d’éviter le transport ambulancier de plusieurs personnes âgées habitant en résidence par semaine rentabilise totalement Jonquière-Médic pour Québec, selon lui.
Le cri d’alarme a suscité l’appui du maire de Saguenay, Jean Tremblay, et du député de Jonquière et chef intérimaire de l’opposition officielle, Sylvain Gaudreault.
Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, rétorque que la nouvelle grille de rémunération des omnipraticiens décourage une pratique axée sur le sans rendez-vous pour encourager la prise en charge, au bénéfice des patients.
Modifications tarifaires
La grille tarifaire des omnipraticiens qui entre en vigueur le 1er juin a été revue de fond en comble. Ces nouveaux tarifs ne sont pas viables pour Jonquière-Médic, indique le Dr Roger Gagnon.
Par exemple, les visites « sans rendez-vous », qu’elles soient faites à domicile ou en cabinet, seront payées au même tarif. Ils varieront de 19,50 à 63,75 dollars, selon la grille mise en ligne par la FMOQ.
Au bas de la fourchette : une visite ponctuelle mineure à un patient de moins de 80 ans, non vulnérable et par un médecin n’ayant pas 500 patients inscrits. Dans ce cas, selon le président du conseil d’administration de Jonquière-Médic, Berhnard Simard, le recul de la tarification est de 60 % par rapport aux tarifs actuels.
Dans le haut de la fourchette, pour une visite ponctuelle complexe d’un patient vulnérable de plus de 80 ans vu par un médecin ayant 500 patients inscrits, il y a une bonification de 6 % par rapport aux tarifs actuels.
Selon le ministre de la Santé et des Services sociaux Gaétan Barrette, la pratique de Jonquière-Médic deviendra « obsolète » à moyen terme. « Si les médecins s’organisent et prennent en charge les patients, c’est un service qui n’a plus sa raison d’être », a dit le ministre en entrevue avec Le Devoir.
Le député de Jonquière, qui s’avère être le chef intérimaire du Parti québécois, Sylvain Gaudreault, estime que la démonstration de l’utilité de Jonquière-Médic n’est plus à faire. « Encore en janvier, alors que 5 enfants d’une école primaire avaient ingéré une substance, un médecin s’est rendu sur place rapidement, et ils n’ont pas eu besoin d’aller à l’urgence », a-t-il relaté en conférence de presse. « Jonquière-Médic désengorge les urgences depuis 34 ans. Il faut faire preuve de souplesse. »
Après avoir contacté à quelques reprises le bureau du premier ministre Philippe Couillard, qui est responsable de la région, le maire Jean Tremblay a invité la population à manifester son appui. « C’est une institution, a-t-il dit en conférence de presse. Je ne vois pas en quoi c’est dispendieux. Dans toute règle, il doit y avoir des exceptions. »
Prise en charge d’abord
Ce n’est pas le seul bouleversement entraîné par la nouvelle grille de tarification. « Ce sont tous les médecins de famille qui font du sans rendez-vous sans prendre de patient en charge qui vont en ressentir l’impact », avertit le ministre Gaétan Barrette.
Les modifications à la rémunération qui entrent en vigueur le 1er juin pour les médecins de famille favorisent clairement la prise en charge en cabinet. Les médecins qui ont plus de 500 patients inscrits recevront entre 10 et 15 % de plus pour un même acte, par exemple.
« C’est le fruit d’une longue réflexion, c’est un changement d’approche majeur », reconnaît le président de la FMOQ, le Dr Louis Godin. « Ce qu’on veut favoriser, ce sont des médecins traitants qui inscrivent des patients et qui les suivent. »
Jonquière-Médic est en quelque sorte une victime collatérale. « Nous ne les avions pas en tête en révisant la grille, reconnaît le Dr Godin. Mais du côté des soins à domicile, on voulait favoriser les patients en perte sévère d’autonomie, pas les gens qui peuvent normalement se déplacer. »
La fin de l’examen annuel
C’est une véritable petite révolution : l’examen annuel disparaît de la grille tarifaire des omnipraticiens, sauf pour les patients vulnérables. Connu sous le vocable « examen complet majeur », il pouvait être facturé une fois l’an. La nouvelle grille fait plutôt la place à des visites « ponctuelles » et « de suivi », dont le tarif est moindre.Le ministre Gaétan Barrette explique que cette décision prise avec la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) est basée sur la science. « Le Collège des médecins a pris une position claire, la visite annuelle, pour un patient en santé, ça ne sert à rien. Les études le montrent, c’est la science », dit-il.
La médecin de famille Dominique Hotte constate que la nouvelle tarification bouleverse les habitudes de certains de ses confrères. « L’examen annuel, les données probantes montrent depuis 1979 que ce n’est pas utile, explique la co-porte-parole du Regroupement des médecins pour une médecine engagée (ROME). Mais c’était encore permis, et ceux qui continuaient à pratiquer de cette manière frappent un mur. »
Elle-même profite plutôt des visites de ses patients pour différents problèmes ponctuels pour vérifier s’ils ont besoin d’un dépistage particulier et faire de la prévention, par exemple.
La mesure, qui a été communiquée tout dernièrement auprès des médecins, est méconnue du public. Elle devra être expliquée aux patients, constate la Dre Hotte.
« L’examen périodique sera mieux rémunéré qu’avant pour les patients vulnérables, dit le président de la FMOQ, le Dr Louis Godin. Mais on ne veut plus encourager l’examen annuel chez les patients en bonne santé, car ce n’est pas indiqué. »
Jonquière-Médic en bref
L’organisme de soin médical à domicile a été fondé en 1982.Jonquière-Médic compte sur l’expertise de huit médecins.
Quelque 11 900 visites ont été faites en 2015.
Le budget de fonctionnement est de 200 000 $ par an (locaux, véhicules, services téléphoniques et informatiques, employés). La Ville de Saguenay fournit un soutien, dont des locaux.
Les médecins, payés par la RAMQ, remettent 15 % de leurs honoraires pour assurer le fonctionnement.