Les omnis en CLSC poussés à être plus productifs

Salaire gelé à vie s’ils refusent, prime de 20 % s’ils acceptent : les médecins de famille payés à l’heure ou à salaire annuel fixe, notamment en CLSC, sont pressés par Québec et leur fédération de changer le mode de rémunération. On les incite fortement à inclure une composante à l’acte, à l’image de leurs collègues qui pratiquent en clinique ou en GMF. Et certains médecins estiment qu’on leur force la main.
L’intention derrière ce changement est de tenir compte de la productivité de ces médecins.
Selon les données de 2013 de la RAMQ, il y avait 614 omnipraticiens à salaire annuel fixe et 6200 payés sur une base honoraire, en tant que travailleurs autonomes. Ils travaillent dans les établissements, en CLSC, à l’hôpital, en CHSLD ou en centre de réadaptation, par exemple.
C’est la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) qui a convenu de ce changement de philosophie avec Québec et qui commence à l’appliquer depuis l’automne.
Le président de la FMOQ, le Dr Louis Godin, ne s’en cache pas : « On veut lier la rémunération au volume, au nombre de consultations. »
« Le médecin de CLSC qui voit six patients par demi-journée ne mérite pas la même rémunération que celui qui en voit huit », dit-il d’emblée.
D’où la rémunération dite mixte qu’on demande désormais aux médecins salariés et payés à l’heure d’adopter. La mécanique : le tarif horaire est diminué, passant d’environ 100 $ à 57 $. Pour chaque patient, le médecin touchera en plus de ce tarif horaire environ 60 % de la valeur des actes qu’il a posés. L’augmentation de rémunération que cela devrait entraîner pour ces médecins est de l’ordre de 20 %, dit le Dr Godin.
Dans le cas des médecins salariés, moins nombreux, la composante salaire ne sera pas diminuée, pour ne pas influer trop négativement le régime de retraite. Ils recevront une prime par acte moins importante.
Les nouveaux diplômés ne peuvent plus choisir le salariat depuis quelques années, mais la rémunération horaire leur est toujours ouverte.
Comme toutes les futures augmentations ne seront appliquées qu’à la rémunération mixte, les rémunérations horaires et à salaire se retrouvent gelées, pour ainsi dire, pour toujours.
Des médecins résistent
Cela n’est guère tentant, mais certains médecins résistent à ce changement, expose l’un d’entre eux, qui ne souhaite pas être identifié. Selon ce médecin de CLSC, cette conversion est avantageuse seulement si on voit plus de trois patients par heure, et plusieurs de ses collègues ont refusé de faire le changement.
« Ce n’est pas exactement une pression, mais pas loin », témoigne un autre médecin concerné. Il a senti qu’on l’incitait fortement à faire la transition sans attendre en lui faisant valoir que la rémunération horaire allait « disparaître » dans les prochaines années.
Le message de Québec : « Seuls les incitatifs financiers vont décider les médecins à tarif horaire, vus comme des paresseux, à augmenter la cadence et la prise en charge des patients », observe ce médecin.
Réfractaire à ce changement, notamment en raison de la bureaucratie qu’il implique, il a fini par céder et confier la gestion de sa facturation à une agence spécialisée.
La rémunération mixte permettra à Québec de mieux suivre les statistiques de productivité des médecins, reconnaît le Dr Godin, et donc de montrer que les objectifs du projet de loi 20 sont atteints — ou non.
D’ailleurs, les médecins qui décideront de conserver une rémunération horaire devront tout de même fournir les noms et numéros d’assurance maladie des patients qu’ils voient afin que Québec puisse suivre leur productivité et le taux d’assiduité de leurs patients, a indiqué un médecin au Devoir.
La mesure ne doit pas coûter plus cher au Trésor public en dépit des augmentations de 20 % promises aux médecins, affirme le Dr Godin, car les enveloppes de rémunération globales seront ajustées en conséquence.
Pour le Dr Godin, la rémunération mixte n’a que des avantages. « Quand on regarde la littérature scientifique, c’est ce qui est vu comme le plus avantageux », fait-il valoir.
Productivité et surveillance
Le chercheur à l’Université de Montréal et observateur de longue date de la rémunération médicale Damien Contandriopoulos abonde dans le même sens. Mais avec des nuances. « Oui, le mode mixte est meilleur, mais tout dépend de la recette. Ce qui est central dans la littérature scientifique, c’est qu’il n’y a pas une bonne recette qui s’applique à tous », dit-il. Une clientèle demandant un grand investissement de temps, notamment en santé mentale, est mieux servie par des médecins salariés, illustre-t-il, alors que le paiement à l’acte est plus compatible avec la radiologie.
M. Contandriopoulos souligne que la plupart des médecins qui choisissent la pratique en CLSC et le tarif horaire le font pour pouvoir suivre une clientèle vulnérable qui ne serait pas « payante » en clinique, avec le paiement à l’acte, car demandant beaucoup de temps. « On peut comprendre que ces médecins qui consacrent beaucoup de temps à une clientèle difficile soient frustrés qu’on les force à entrer dans un moule dont ils ne voulaient pas au départ », souligne-t-il. À cet égard, le passage à la rémunération mixte pourrait poser un risque de fragilisation de la mission des CLSC avec ces clientèles vulnérables.
Selon lui, il est par contre clair que la rémunération mixte permettra à Québec de colliger les données nécessaires pour suivre la productivité des médecins. Mais était-ce le meilleur moyen pour atteindre cet objectif ? Peut-être pas. « Aurait-on pu avoir ces mêmes données pour moins cher ? Peut-être bien. Les dossiers médicaux électroniques auraient été une voie à explorer », selon M. Contandriopoulos.
Des changements graduels

Si elle a séduit 220 des 250 omnipraticiens travaillant en santé publique, elle a été très peu populaire en CLSC, avec 142 médecins adhérant sur plusieurs centaines, indique la FMOQ. En Unité de médecine familiale, 331 médecins ont accepté le changement.
Les médecins qui oeuvrent en gériatrie et en soins palliatifs ont encore quelques semaines pour y adhérer. Les prochains secteurs où la rémunération mixte sera offerte sont les soins à domicile et la santé mentale.
Les médecins qui travaillent auprès des itinérants et en toxicomanie ne sont pas visés par ces changements.