Quand la Fondation secourt l’hôpital

Faisant face à des compressions toujours plus importantes, l’hôpital Sainte-Justine réclame, depuis deux ans, une « contribution exceptionnelle » de plusieurs millions de dollars de la Fondation de l’hôpital.
« C’est sûr que nos contraintes budgétaires font qu’on va de plus en plus se tourner vers la Fondation pour vraiment combler les besoins de développement, affirme la présidente-directrice générale adjointe de l’hôpital Sainte-Justine, Isabelle Demers. On a des coupes importantes, donc on se doit d’être de plus en plus créatifs sur la façon de financer nos développements et innovations. »
Cette créativité s’est exprimée à deux reprises par l’attribution de « contributions exceptionnelles ».
Ainsi, à l’automne 2014, lorsque les gestionnaires ont constaté qu’ils n’arriveraient plus à financer certains projets qui étaient déjà bien entamés — certains étaient déjà en appel d’offres —, ils ont demandé l’aide de la Fondation du CHU Sainte-Justine pour un montant de 6 millions. Celle-ci leur en a accordé 5.
Questionnée sur le montant précis du déficit au moment où l’hôpital montréalais a présenté sa demande à la fondation, la p.-d.g. adjointe n’a pas été en mesure de fournir les chiffres au Devoir, se contentant d’affirmer que l’effort global demandé pour l’exercice financier 2014-2015 était « un peu moins » élevé que les 8,6 millions qui sont demandés à l’établissement pour l’année en cours.
Cette année, ce sont 5,6 millions qui ont été réclamés à la fondation. On lui en accordera « un peu moins que l’an passé », confirme la présidente de la Fondation, Maud Cohen.
Une « perception »
Cette dernière ne nie pas formellement qu’il peut y avoir un lien entre les compressions et cette aide exceptionnelle qui a été accordée au centre hospitalier auquel la fondation est rattachée. Mais elle jure que ce n’est pas de cette façon que les choses lui ont été présentées.
« La Fondation est là pour permettre au centre hospitalier universitaire de Sainte-Justine d’aller plus loin, notre objectif n’est pas d’éponger des compressions, répond d’emblée Maud Cohen. Je vous dirais honnêtement, si c’était cette demande-là qu’on nous avait faite, on ne l’aurait pas acceptée. Mais si le CHU nous présente des projets qu’ils veulent financer durant l’année, qui sont des services nous permettant d’offrir de meilleurs soins aux enfants, on va les financer. Et dans le cadre de cette demande de financement là de 5 millions, c’est exactement ce qui s’est passé. »
À Sainte-Justine, Isabelle Demers nie formellement que les contributions exceptionnelles puissent servir à financer les compressions imposées par Québec, répétant que les budgets de fonctionnement et les projets financés par la fondation sont deux choses bien distinctes. « On demande à la fondation de contribuer sous forme de projet, ce n’est pas pour combler un déficit. »
Pourtant, lorsqu’on lui demande directement si l’établissement aurait réussi à atteindre l’équilibre budgétaire sans cette contribution exceptionnelle de la Fondation, Mme Demers est incapable de répondre clairement. « J’ai de la difficulté à analyser si on aurait été en déficit si on n’avait pas eu cette contribution; je vous dirais que probablement que oui, mais probablement qu’à ce moment-là, on aurait stoppé des projets et on aurait pu arriver à contrôler nos dépenses quand même. »
Mais selon une source bien au fait du dossier, ces projets sont un « écran de fumée » visant à camoufler un transfert de fonds qui serait bien mal vu par le public et les donateurs qui veulent financer des projets spéciaux, et non éponger un déficit créé par les compressions gouvernementales.
« Je comprends que ça peut être une perception, c’est sûr, répond Isabelle Demers, de l’hôpital Sainte-Justine. Comme je vous dis, nos budgets sont plus serrés, mais les projets sont réels. C’est tout à fait justifié et c’est clairement en dehors de nos budgets de fonctionnement. »
Même son de cloche du côté de la Fondation, qui a dû répondre à plusieurs questions à la suite de cette contribution exceptionnelle. « C’est peut-être la perception à l’interne. Cela s’explique peut-être par le fait que le contexte actuel fait que les tensions sont énormes. Mais on a toujours été transparents et, quand on nous pose la question, on leur explique et ils comprennent tout à fait que ce sont des projets qui étaient nécessaires pour les enfants et les mères que l’on soigne. »
Projets
À l’hôpital Sainte-Justine, on explique que le problème vient du fait que les budgets d’établissements ne prennent pas en compte les besoins de développement et d’innovation qui sont liés à la mission universitaire de l’hôpital Sainte-Justine. Généralement, la recherche est financée par d’autres sources, comme des fonds de recherche. Or, lorsque vient le temps de les mettre en application dans les établissements, cela nécessite des ressources supplémentaires. Jusqu’à tout récemment, l’hôpital était souvent en mesure de financer cela avec ses budgets de fonctionnement. Mais ce n’est plus le cas depuis que le gouvernement les oblige à couper partout, explique Isabelle Demers.
« On est encore plus rigoureux dans notre gestion budgétaire et on tente vraiment de ne plus faire aucun développement pour s’assurer de donner les meilleurs soins à notre clientèle et s’assurer que nos budgets de fonctionnement qui sont pour les soins et les services soient vraiment utilisés uniquement pour ça. »
C’est ainsi qu’on se retrouve avec un projet d’informatisation du service de néonatalité subventionné par la Fondation dans le cadre de cette contribution exceptionnelle. « J’ai une équipe de professionnels qui va adapter le système. Il faut former le personnel. Pour soutenir l’implantation d’un tel système, je vais avoir besoin de personnel additionnel. Tout ça, ce sont des choses qui ne sont pas dans les budgets de fonctionnement et qui font donc partie de ce type de projet là exceptionnel. »
Campagne Plus mieux guérir
À la Fondation, Maud Cohen affirme que cette contribution est qualifiée d’exceptionnelle, car elle est en marge de la vaste campagne Plus mieux guérir, appuyée notamment par Céline Dion et René Angélil.
« La raison pour laquelle on dit que c’est [une contribution] exceptionnelle, c’est parce que ces projets-là s’intègrent [dans la mission de la Fondation], mais pas nécessairement d’une façon aussi bonne que les projets qui avaient été identifiés en 2011 [dans le cadre de la campagne Plus mieux guérir] », concède Maud Cohen.