Un déchirant débat des parlementaires

Le débat sur l’aide médicale à mourir est la source de nombreuses divergences, mais il débouche sur au moins un consensus : un malade ne devrait être euthanasié que s’il en fait lui-même la demande alors qu’il a toute sa tête pour prendre cette décision irréversible.
Pourtant, les audiences du comité parlementaire mixte devant suggérer au gouvernement des moyens d’encadrer l’aide médicale à mourir sont en voie de mettre en lumière une faille dans ce consensus. Cette faille porte sur les directives médicales anticipées. Poussés par les questions de la sénatrice conservatrice du Québec Judith Seidman, les témoins sont appelés à dire si, à leur avis, l’euthanasie devrait pouvoir faire partie de telles directives. Une personne en santé devrait-elle pouvoir écrire, dans un testament biologique quelconque, que si dans le futur elle était atteinte de telle ou telle maladie la privant par ailleurs de ses capacités décisionnelles, elle voudrait qu’on la tue ? Cela implique que le corps médical prenne la responsabilité de mettre à mort une personne qui, au moment du geste fatidique, n’a pas la capacité de s’exprimer. Dilemme.
Lors de son témoignage mardi, Maureen Taylor, coprésidente du Groupe consultatif provincial-territorial sur l’aide médicale à mourir, a reconnu qu’il avait été impossible de trouver un consensus sur cette question. « Des gens dans notre panel ont estimé qu’une personne ne peut pas savoir quelles seront ses volontés avant que le diagnostic ne survienne, qu’il est impossible de spéculer. »
Directives médicales
Maureen Taylor, une journaliste de profession, s’est retrouvée à la tête de ce groupe devant sonder l’avis des provinces et territoires parce qu’elle a mené une lutte très publique en faveur de l’aide médicale à mourir. Son mari, le microbiologiste Donald Low, qui s’était illustré pendant la crise torontoise du SRAS en 2003, a diffusé une poignante vidéo en septembre 2013, huit jours avant son décès. Il exhortait les politiciens à enfin débattre d’euthanasie.
Maureen Taylor demande à Ottawa de trancher la question des directives médicales anticipées. Le gouvernement du Québec, qui s’est doté d’une Loi sur les soins de fin de vie, a délibérément laissé de côté cette question en l’absence de consensus.
L’Association médicale canadienne (AMC), qui a comparu mercredi en comité, a mis en garde les parlementaires. « Je peux vous dire que dans la vraie vie, mettre en oeuvre des directives médicales anticipées est incroyablement complexe et difficile, a expliqué Jeff Blackmer, le vice-président de l’AMC. Parce qu’il est très difficile de saisir toutes les nuances et les spécificités d’une condition ou d’une intervention médicale. Alors même dans le meilleur des cas, les médecins ont déjà de la difficulté à respecter les directives médicales anticipées. Nos membres nous ont dit qu’ils entrevoient beaucoup de difficultés potentielles » si l’aide médicale à mourir devenait sujette elle aussi à de telles directives.
D’autres cas de figure tout aussi déchirants sont envisageables. Une personne qui reçoit un diagnostic de maladie grave et irrémédiable, comme l’Alzheimer ou la sclérose latérale amyotrophique (Lou-Gehrig), devrait-elle pouvoir demander que la mort lui soit administrée plus tard, lorsqu’elle n’aura plus la capacité ou la lucidité de la demander ? À cet égard, seul le groupe de Maureen Taylor a jusqu’à présent répondu par l’affirmative.
Le président du comité parlementaire, le libéral Rob Oliphant, a mis en lumière ce qui était en jeu : la mort prématurée. Si une telle directive anticipée n’est pas permise, a-t-il souligné, on peut imaginer que certains patients se sachant condamnés à une fin débilitante demanderont la mort même s’il leur reste encore quelques années de qualité à vivre.
Des mineurs et des dépressifs?
Les parlementaires s’interrogent aussi sur les catégories de malades qui se qualifieront à l’aide médicale à mourir. Comme la Cour suprême, dans son jugement, n’a pas parlé de « fin de vie », tout le monde en a déduit que l’aide pourrait aussi être offerte à des personnes souffrantes dont la mort n’est pas imminente. Les fonctionnaires du ministère de la Justice en ont surpris plus d’un en affirmant que l’intention des juges est moins claire qu’il n’y paraît : s’ils n’ont pas limité leur analyse aux gens en fin de vie, ils n’ont pas non plus écrit noir sur blanc que leur analyse débordait ce cadre. Aussi, la conviction de tout le monde selon laquelle Québec devra réécrire sa loi pour l’élargir n’est peut-être pas aussi fondée qu’on le croit.
À cet égard, la question des maladies mentales est aussi au coeur des réflexions des parlementaires. Une personne qui souffre psychologiquement seulement pourrait-elle se qualifier ? Et si oui, y a-t-il un risque de permettre ainsi la mise à mort de gens qui ne sont que déprimés, s’est interrogé le député conservateur Harold Albrecht.
Le député néodémocrate Murray Rankin a tempéré l’inquiétude de son collègue, en rappelant que selon la Cour suprême, une personne se qualifie à cette aide seulement si sa condition est irrémédiable et lui cause des souffrances persistantes et intolérables. « Je n’arrive pas à imaginer un scénario où ce serait une condition purement psychologique qui répondrait aux critères établis dans la décision Carter. » Le président de l’Association des psychiatres du Canada, Sonu Gaind, lui a donné raison. « Je ne pense pas pouvoir dire avec certitude qu’il n’y en aura jamais, mais je suis d’accord avec vous que c’est difficile de penser à plusieurs cas. »
Les parlementaires se sont aussi fait dire par les témoins en comité que l’aide médicale à mourir ne devrait probablement pas être réservée aux adultes, mais plutôt aux personnes ayant une capacité décisionnelle, quel que soit leur âge. Déjà, des députés y voient la preuve que l’aide médicale à mourir constitue une « pente glissante », oubliant que les mineurs jugés « matures » (ou de 14 ans ou plus au Québec) ont déjà le droit de refuser des traitements médicaux qui leur sauveraient la vie.
D’un océan à l’autre
Plusieurs témoins entendus cette semaine ont insisté sur l’importance qu’Ottawa adopte un minimum de règles nationales afin d’éviter une discontinuité géographique du service ou de trop grandes disparités de régime d’une province à l’autre. Déjà, de telles disparités pointent à l’horizon. Les collèges des médecins de toutes les provinces (sauf Terre-Neuve et l’Île-du-Prince-Édouard) ont élaboré des paramètres en matière d’aide à mourir. Or, ceux-ci varient, explique au Devoir la présidente de l’Association médicale canadienne, Cindy Forbes.
Au Nouveau-Brunswick, par exemple, le délai devant s’écouler entre la demande d’aide et la mort est de deux semaines, alors que d’autres provinces parlent de « délai raisonnable » ou « proportionnel à la condition du patient ». En Ontario, le College of Physicians and Surgeons a adopté cette semaine des règles stipulant qu’un médecin qui refuse pour des raisons de conscience d’aider un patient à mourir doit fournir à ce dernier « une référence active » à un confrère. C’est la seule province à établir cette obligation.
Selon l’AMC, un minimum de cohérence est nécessaire pour éviter le tourisme euthanasique interprovincial. Maureen Taylor estime elle aussi que des règles nationales sont nécessaires. « À l’Île-du-Prince-Édouard, les femmes ne peuvent pas avoir un avortement. On ne veut pas que la même chose se produise avec l’aide médicale à mourir. Car c’est une de nos préoccupations : que certaines provinces ne feront rien. »
Le camp conservateur
« Pour moi, il est paradoxal que nous ayons toutes sortes d’initiatives de nos agences de santé pour prévenir le suicide alors que nous sommes ici pour offrir un plus grand accès au suicide. » Le député conservateur Harold Albrecht ne semble pas emballé à l’idée de légaliser l’aide médicale à mourir. Normal. M. Albrecht, comme la quasi-totalité de ses collègues qui siègent au comité parlementaire mixte, appartient au mouvement pro-vie.Les conservateurs disposent de trois sièges pour leurs députés. Un de ces sièges est occupé par Gérard Deltell et les deux autres, par les députés pro-vie Mark Warawa et George Cooper. Mais lorsque M. Deltell doit s’absenter, il est remplacé par M. Albrecht. En outre, beaucoup d’autres députés conservateurs se présentent au comité, même s’ils n’y ont pas droit de parole. Tous sont reconnus par le mouvement pro-vie comme leur étant sympathiques.
Par exemple, Rachael Harder, la nouvelle représentante de Lethbridge (Alberta), a rempli le questionnaire préélectoral de Campaign Life Coalition et a répondu « oui » à la question : « Vous opposerez-vous à toute mesure législative ou réglementaire conçue pour permettre l’euthanasie délibérée d’un être humain ou l’aide médicale au suicide ? »
On a aussi vu au comité le Saskatchewanais Garnett Genuis, un nouvel élu qui avait lui aussi reçu l’imprimatur électoral de Campaign Life Coalition. « Garnett est connu comme étant un pro-vie », est-il écrit sur le site de l’organisme. Après son élection d’octobre dernier, M. Genuis a embauché comme assistante législative Taylor Hyatt, une femme se déplaçant en fauteuil roulant qui était présente à la Cour suprême en février 2015 pour dénoncer la décision autorisant l’aide médicale à mourir.
Enfin, le conservateur Arnold Viersen a aussi été vu au comité. Campaign Life Coalition rapporte que lors de son investiture, M. Viersen s’est déclaré pro-vie et opposé à l’euthanasie.