Les médecins délaissent les CHSLD

Confrontée au départ de plusieurs médecins de famille qui abandonnent leurs tâches hospitalières pour faire plus de prise en charge, comme demandé par Québec, la direction du Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Ouest appréhende une pénurie de médecins dans les centres d’hébergement et unités de réadaptation de Vaudreuil-Soulanges.

« Nous aurons une pénurie d’effectifs médicaux dans nos centres d’hébergement due aux nombreuses demandes de changements d’activités médicales particulières (AMP) en plus de quelques démissions », écrit Lucie Poitras, directrice des services professionnels au Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de la Montérégie-Ouest, dans une lettre envoyée à « tous les médecins » de la région le 4 janvier dernier. Elle y précise avoir un « urgent besoin d’effectifs médicaux » et demande la collaboration des médecins pour « éviter un bris de services » dans les centres d’hébergement Vaudreuil et Laurent-Bergevin. La lettre précise qu’il y a également un « besoin criant » dans deux unités de réadaptation et récupération fonctionnelle.

« Même si vous n’avez pas d’expérience actuelle en hébergement, les pathologies rencontrées s’apparentent à votre clientèle de bureau », plaide la directrice des services professionnels.

Selon elle, il s’agit d’une conséquence directe des changements apportés à Québec pour amener les médecins de famille à voir davantage de patients en clinique. Depuis une vingtaine d’années, pour assurer une présence suffisante de médecins dans les hôpitaux, Québec obligeait les médecins de famille à faire des « activités médicales particulières » (AMP), soit un nombre d’heures minimal dans certains secteurs ciblés et jugés prioritaires. On y retrouve notamment l’urgence, de même que l’hébergement et la réadaptation. Ces AMP ont été modifiées en vertu d’une entente survenue l’automne dernier entre la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec et le ministère pour favoriser la prise en charge d’un plus grand nombre de patients.

« En Montérégie, il a été décidé que les AMP seraient uniquement en prise en charge, l’objectif étant qu’il y ait plus de médecins de famille sur le territoire pour la prise en charge de la population », explique Mme Poitras en entrevue au Devoir.

Ce changement n’est pas sans créer certains désagréments pour la direction du CISSS alors que plusieurs médecins ont annoncé qu’ils changeaient d’orientation de pratique. Cela va permettre d’améliorer l’accès à un médecin de famille, convient la directrice, mais va créer des problèmes ailleurs. « Oui, il y a la prise en charge, c’est important, mais il y a aussi, quand même, le suivi au niveau des centres d’hébergement [qui est important] », laisse-t-elle tomber au bout du fil.

Démission conditionnelle

 

La directrice des services professionnels prévoit qu’il manquera, en mars, six médecins en hébergement sur son territoire. Et ceux qui restent n’ont pas envie de se retrouver avec un tel fardeau sur les bras. « Nous avons une démission conditionnelle, confirme Mme Poitras. C’est quelqu’un qui menace de démissionner si on ne lui trouve pas des amis. Je comprends tout à fait, c’est tout à fait raisonnable, personne n’a envie de se retrouver tout seul avec cette charge-là. C’est pour ça que j’ai envoyé une lettre aux médecins et qu’on fait des appels. On a promis à cette personne qu’on lui trouverait des amis ! »

Elle dit avoir « grand espoir » d’arriver à une solution d’ici le mois de mars et dit travailler avec toutes les instances pour y parvenir. « Il faut régler ça rapidement, parce que ça nous préoccupe beaucoup, ça va limiter l’accès. »

Elle répète que la réforme du ministre Barrette comporte plusieurs bons côtés, mais que certains aspects, dont le fait de vouloir réduire de 20 % le nombre de médecins de famille dans les hôpitaux, seraient « un peu plus ardus à mettre en application ».

Éthique

 

Critique du système de santé québécois, ayant travaillé à la fois comme médecin spécialiste et comme administrateur, l’ancien président du Collège des médecins, le Dr Yves Lamontagne, estime que ce genre de situation est tout à fait normal lors de périodes de grands changements. « Chaque fois qu’il y a des changements qui sont proposés, c’est la panique générale, c’est un classique. »

Il rappelle que les établissements de santé ont des options pour obliger les médecins à rester en poste le temps de les remplacer. C’est d’ailleurs une obligation déontologique des médecins d’assurer le suivi de leurs patients. « Juste au niveau éthique, un médecin ne peut pas abandonner sa clientèle comme ça, il doit s’assurer de se faire remplacer quand il part. »

Au ministère de la Santé et des Services sociaux, on précise que la prise en charge de patients est désormais reconnue comme une activité prioritaire, mais que celle-ci est ajoutée à la liste des AMP, sans remplacer les activités qui y figuraient déjà.

C’est toutefois le département régional de médecine générale (DRMG) de chaque région qui détermine les AMP « en fonction des besoins identifiés sur son territoire », explique la porte-parole du ministère, Noémie Vanheuverzwijn. La Montérégie peut donc avoir décidé que les seules AMP qui seront reconnues seront en suivi de patient en clinique, mais cela ne s’applique pas nécessairement ailleurs au Québec.

Le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, n’était pas disponible pour commenter jeudi.

Oui, il y a la prise en charge, c’est important. Mais il y a aussi, quand même, le suivi au niveau des centres d’hébergement [qui est important].

Juste au niveau éthique, un médecin ne peut pas abandonner sa clientèle comme ça. Il doit s’assurer de se faire remplacer quand il part.

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