«On est en train de démanteler le système»

Stéphane Gagné Collaboration spéciale
L’obsession pour le déficit zéro menace aussi les services auxiliaires, comme les cafétérias, les buanderies et l’entretien ménager.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir L’obsession pour le déficit zéro menace aussi les services auxiliaires, comme les cafétérias, les buanderies et l’entretien ménager.

Ce texte fait partie du cahier spécial Santé

Récemment, le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), section Québec, a produit un clip publicitaire de 30 secondes visant à sensibiliser la population aux dangers d’une privatisation accrue de notre système de santé public. On y voit la médecin de famille Marie-Claude Goulet vanter le travail des périsoignants (infirmières, préposés aux bénéficiaires, préposés à l’entretien ménager, etc.), ces gens qui soutiennent le travail des médecins, offrent une qualité de vie aux patients et gardent les établissements de santé dans un état salubre. Un clip qui fait réfléchir aux dangers qui guettent notre système de santé.

« Le danger de privatisation est réel, affirme Pierre Soucy, président du Conseil provincial des affaires sociales au Syndicat canadien de la fonction publique. Avec les actions répétées du gouvernement en faveur du privé, on est en train de démanteler le système. C’est le temps de se réveiller. »

Frais accessoires

 

La dernière action en date porte sur les frais accessoires. Une mesure législative, incluse à la fin de l’étude sur le projet de loi 20, normalise une pratique qui était jugée jusqu’ici illégale, soit la facturation de frais accessoires en clinique.

Grâce à cet amendement, il est maintenant permis de facturer aux patients les services offerts en clinique, comme la prise d’un tranquillisant lors d’une côlonoscopie, l’administration de gouttes ophtalmologiques, etc. Le prix demandé sera réglementé afin d’éviter les exagérations, mais « le problème, c’est qu’on légalise une situation qui existait depuis des années, mais qui est illégale au sens de la Loi canadienne sur la santé », dit M. Soucy.

Cette dernière mesure a suscité une levée de boucliers du côté de plusieurs chercheurs en santé, de professeurs, d’avocats et de regroupements qui viennent à la défense des patients. Dans une lettre publiée dans les médias à la mi-novembre, ces gens déplorent le fait que « le Québec pourrait être la première province à abandonner le principe d’un système de santé universel, intégral et accessible, et à sortir ainsi du modèle canadien ».

Pour éviter un dérapage accru vers le privé, les auteurs de la lettre demandent au gouvernement Trudeau d’intervenir pour faire appliquer la Loi canadienne sur la santé.

Un hôpital montréalais se désengage

 

L’exemple le plus récent de ce désengagement est le cas de l’Hôpital de Montréal pour enfants, un des deux hôpitaux universitaires pédiatriques pour enfants de Montréal. « En déménageant vers le site du nouveau Centre universitaire de santé de McGill [CUSM], cet établissement a cessé d’offrir certains services médicaux et dirige ses patients vers une [consultation] externe privée qui exige des frais pour des interventions auparavant couvertes par l’assurance maladie », affirme Astrid Brousselle, professeure au Département de sciences de la santé communautaire de l’Université de Sherbrooke (campus de Longueuil) et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en évaluation et amélioration du système de santé.

Mme Brousselle souligne le fait que les médecins qui oeuvrent au sein de cette clinique privée sont ceux qui dispensaient ces mêmes services à l’hôpital. « On subventionne ainsi par des fonds publics des médecins qui font une pratique privée inéquitable, dit-elle. C’est le fondement même de notre système de santé qui est remis en cause, car des services médicalement requis ne sont aujourd’hui plus assurés. »

La chercheuse insiste sur le fait que le caractère public de notre système de santé doit être maintenu. « Je suis d’accord avec les gens qui soulignent qu’il y a des choses qui ne fonctionnent pas dans notre système de santé, mais au lieu de les régler, nos décideurs politiques optent pour une privatisation accrue et la création de mégastructures comme les centres intégrés de santé et de services sociaux [CISSS] et les centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux [CIUSSS]. Plusieurs études scientifiques ont pourtant démontré que ces mégastructures [qui ont réduit le nombre d’établissements publics de 182 à 33] sont des modèles de gestion surdimensionnés et inefficaces. Et pendant la mise en place de ces structures, on oriente les efforts sur leur fonctionnement et non vers l’amélioration des services aux patients. » Pour elle, les solutions choisies ne sont pas les bonnes.

Pierre Soucy abonde dans le même sens et ajoute que le ministre se réserve des pouvoirs discrétionnaires beaucoup trop importants dans la loi 10, ce qui représente une menace pour la démocratie. Il déplore aussi le fait que les gens ne se préoccupent pas davantage des changements qui sont en cours. « Les gens ne voient pas la facture des services auxquels ils ont accès. Une opération à coeur ouvert, par exemple, coûte au-dessus de 100 000 $. Qui a les moyens de se payer cela ? »

Des services auxiliaires menacés

 

L’obsession pour le déficit zéro menace aussi les services auxiliaires (cafétéria, buanderie, entretien ménager, etc.). « On fusionne des services, on en réduit d’autres, on en abolit parfois et on privatise, dit M. Soucy. Et les décisions prises ne sont pas toujours les bonnes. Ainsi, il y a quelques années, le gouvernement a coupé dans l’entretien ménager des hôpitaux. Les infections nosocomiales [ex. : C. difficile] sont alors apparues. Le gouvernement a dû faire marche arrière et réinstaurer le même niveau de service. »

Le gouvernement remet aussi en cause le système de buanderie publique dans le secteur de la santé. Le 24 août dernier prenait fin le processus d’appel d’offres lancé par le ministère de la Santé et des Services sociaux pour le remplacement de deux buanderies publiques. Alors que des projets de constructions neuves autofinancés avaient été autorisés par le gouvernement précédent, le gouvernement Couillard a fait volte-face et a procédé à des appels d’offres mettant le privé en concurrence avec le public. Depuis plusieurs mois, 200 employés de ces deux buanderies, Partagec à Québec et Lavérendière à Joliette, vivent dans l’incertitude quant à leur avenir.

Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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