Des médecins de moins en moins outillés

Pour faire le contrepoids aux coupes dans les directions de santé publique, les médecins doivent faire davantage de prévention, estime la ministre déléguée à la Santé publique, Lucie Charlebois. Mais la formation des cliniciens est justement l’un des volets affectés par les compressions dans certaines régions.

« La première ligne doit faire son travail aussi, et quand je parle de première ligne, ils sont capables de voir ce qui se passe sur le terrain », a répondu la ministre Charlebois en réponse aux questions sur les impacts des compressions de 30 % en santé publique révélés par Le Devoir ces derniers jours.

Elle soutient que les coupes avaient pour but d’éviter les dédoublements et que le projet de loi 10, adopté l’hiver dernier, permet désormais de regrouper tous les joueurs au sein d’une seule organisation. « Ce n’est pas seulement l’affaire d’une personne, c’est tout le réseau de santé qui fait de la prévention. Mon docteur fait de la prévention. Tout le monde travaille désormais ensemble. »

Le problème, c’est que plusieurs directions de santé publique ont justement décidé de couper dans l’offre de formation aux cliniciens, a constaté Le Devoir. « La direction de santé publique du Bas-Saint-Laurent offre maintenant un peu moins de formation et de soutien aux médecins du territoire, entre autres, de même qu’à l’ensemble de ses partenaires », répondait la semaine dernière la directrice des communications du CISSS du Bas-Saint-Laurent, Lise Chabot.

À Montréal, le directeur de santé publique, Richard Massé, a coupé ses quatre professionnels en prévention clinique. Et bien que le ministère affirme qu’il s’occupera désormais de ce volet, le Dr Massé a des doutes, car Québec ne sera pas en mesure d’offrir les services de proximité qu’offraient les directions régionales. « C’est une chose de faire la promotion d’un outil provincial, c’en est une autre que de travailler avec les praticiens, de former les gens, de les voir et de pouvoir discuter avec eux. […] Je considère que c’est un service important pour la population montréalaise. Est-ce que c’est de la duplication ? Je ne pense pas que le ministère va avoir quatre personnes sur ce dossier à Québec pour la région de Montréal. »

L’organisme Suicide Action Montréal, qui forme depuis des années les intervenants de première ligne dans les établissements de santé, ne trouve plus, non plus, preneur pour ses services de formation dans le réseau de la santé, au point où la directrice envisage de se départir de ses deux formatrices.

Programmes fragilisés

 

Pour maintenir les services directs à la population malgré des équipes décimées, plusieurs directions de santé publique doivent faire des choix qui fragilisent d’autres programmes.

En Outaouais, par exemple, on a dû aller chercher des ressources humaines dans le programme de services intégrés en périnatalité et pour la petite enfance (SIPPE) pour les familles vivant en contexte de vulnérabilité. Ces équipes faisaient des interventions pour prévenir les problèmes d’abus et de négligence. Une partie de ces professionnels seront désormais appelés à faire de la vaccination.

« On doit avoir une offre de vaccination dans des délais prescrits, et là, on n’y arrivait pas. Et on voyait que dans ce service-là, on travaillait de façon assez efficiente. On a donc regardé comment on pouvait faire en sorte qu’il y ait des vases communicants entre les services parce que c’est dans la même équipe », confirme la directrice de l’administration des programmes de santé publique de l’Outaouais, Pauline Fortin.

Certains programmes ont dû être mis en veilleuse. Mais ce n’est que temporaire, se défend Mme Fortin. Le programme Écoles en santé devrait reprendre sous peu. Même chose pour la lutte contre le tabagisme. « On est en train de reprendre ça en mains, parce qu’on ne peut pas se permettre de ne pas offrir de services dans ce domaine-là. C’est un problème prioritaire pour nous. »

 

Laval

À Laval, l’équipe de surveillance de l’état de santé des populations a perdu un de ses trois professionnels. « Le fait de perdre le tiers des effectifs compromet notre capacité de diagnostiquer les problèmes de santé de la population, de voir si notre population va bien ou non, déplore une source au sein de la direction de santé publique qui a accepté de parler sous le couvert de l’anonymat, craignant des représailles s’il critiquait l’organisation. Les données de surveillance, ça nous permet de suivre les tendances dans le temps, de les analyser, de les interpréter et de savoir si les choses vont en s’améliorant ou non. Si on n’est pas capable de suivre ces signes vitaux de la santé de la population, on n’est pas en train de faire de la vraie santé publique, on est juste en train d’appliquer les commandes du ministère. »

Cadre supérieur à l’administration des programmes de santé publique à Laval, Alain Carrier reconnaît que « c’est préoccupant ». Son équipe ne sera plus en mesure de préparer de grands plans thématiques, elle devra se limiter à de petits documents de synthèse.

« C’est sûr que s’il y a quelque chose qu’il faut consolider au cours des prochaines années, ça va être cette fonction-là. Ça va avoir un impact. Actuellement on est sur l’erre d’aller, mais ça va avoir un impact au cours de la prochaine année, c’est sûr, il va falloir revoir nos priorités. »

Mais pour la ministre Charlebois, il n’y a pas lieu de s’inquiéter : « Toute transition comporte son lot de changements et on travaille pour aplanir les difficultés. Et sur l’ensemble de l’oeuvre, on ne peut pas dire que ça va mal au Québec. »

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