Le nouveau processus de plaintes dénoncé
Dans la foulée de la restructuration du réseau de la santé, des établissements remplacent les commissaires aux plaintes par des délégués, une décision qui contrevient à la loi et qui compromet à la fois l’indépendance et la crédibilité du processus, dénoncent des groupes de défense des usagers et les représentants des commissaires aux plaintes qui multiplient les avis juridiques et les recours pour maintenir les anciennes structures.
« On est en train de dénaturer complètement le processus de plaintes, on revient 20 ans en arrière, se désole l’avocat spécialisé en santé, Me Jean-Pierre Ménard. On affaiblit le processus de plaintes, on lui enlève de la crédibilité et de l’indépendance et je ne pense pas que ça serve les usagers. »
Jusqu’au premier avril dernier, chaque établissement de santé avait un commissaire aux plaintes. Dans certains cas, selon le volume, on pouvait avoir un commissaire adjoint. Pour assurer un maximum d’indépendance, ces cadres supérieurs étaient nommés par le conseil d’administration et non par l’établissement, tel comme par la Loi sur la santé et les services sociaux.
Protecteur du citoyen
Mais la réforme du ministre Barrette, qui regroupe les établissements de santé dans de grandes entités régionales nommées Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS), vient bouleverser cette structure, dénonce Me Ménard. « Dans le cadre de la réforme, on a décidé de réformer aussi le processus de plaintes, mais sans le dire. On va créer un commissariat aux plaintes [pour le CISSS] et, dans les autres établissements, on va nommer des délégués qui sont des employés de l’établissement. »
C’est le comité des usagers de l’ancien CSSS des Sommets, dans les Laurentides, qui a sonné l’alarme cet été. En apprenant que ses usagers devraient faire affaire avec un délégué plutôt qu’un commissaire aux plaintes ou un commissaire adjoint, le comité a mandaté Me Ménard pour lui fournir un avis juridique. Celui-ci est clair : « L’utilisation d’un délégué pour traiter et examiner les plaintes des usagers est non seulement illégale, mais compromet plusieurs droits des usagers. »
L’avocat soutient qu’en fonction de la loi, ni le commissaire ni le commissaire adjoint n’ont le droit de déléguer leurs fonctions. Il s’inquiète par ailleurs de l’indépendance des délégués. « Les délégués seraient des professionnels de l’établissement, annihilant ainsi toute indépendance quant au processus de traitement des plaintes. »
Par ailleurs, ces derniers ne sont pas protégés par la clause d’immunité prévue dans la loi pour les commissaires et commissaires adjoints. « Le délégué s’expose à des poursuites judiciaires, notamment de la part des personnes impliquées dans les événements faisant l’objet de la plainte, ce qui pourrait influencer ses conclusions et ses recommandations, et ce, au détriment des droits des usagers. »
À la suite de cet avis, le comité des usagers a décidé de porter plainte au protecteur du citoyen. « Les plaintes des usagers doivent être reçues et traitées en toute indépendance, impartialité et impunité par une commissaire ou une commissaire adjointe ayant tous les pouvoirs d’agir sur les situations qui se présenteront. C’est un droit fondamental pour les usagers », écrit le comité.
« C’est inacceptable, s’indigne la présidente, Jacinthe Normand, en entrevue. Le ministre nous a dit que jamais il ne toucherait aux services aux usagers, mais les plaintes, c’est un service aux usagers. Ce n’est pas fait pour les gestionnaires, c’est fait pour les usagers pour s’assurer de la qualité des services. »
Deuxième avis juridique
À l’Association des cadres supérieurs, qui représente la majorité des commissaires et commissaires adjoints, plusieurs membres sont également préoccupés par cette nouvelle structure, note Marie-Josée Leclair, avocate et conseillère aux relations professionnelles pour l’Association. « J’ai reçu beaucoup d’appels parce que les commissaires connaissent bien l’encadrement légal avec lequel ils doivent travailler. Ils se questionnaient sur la légalité de ça, et ça créait un malaise chez eux. Être nommé à la tête d’un commissariat qui agit en contravention de la loi, ce n’est pas très confortable. Les gens voulaient donc valider les structures qui étaient projetées parce qu’ils voyaient bien qu’au niveau de leur pouvoir de délégation, de l’indépendance et de l’immunité de fonction, ça posait des problèmes. »
L’Association a fait parvenir au ministère un avis juridique qui reprend sensiblement les mêmes arguments que Me Ménard, soutenant que la nouvelle structure était contraire à la loi et mettant en doute « l’équité, l’impartialité et la confidentialité du traitement des plaintes » dans ces nouvelles structures.
Québec s’oppose toutefois à cette interprétation. Dans une orientation ministérielle, envoyée par le sous-ministre adjoint aux établissements de santé le 31 juillet, on affirme que le commissaire peut s’entourer d’une « équipe pour réaliser des tâches de soutien ». Ces professionnels peuvent notamment recueillir et analyser les plaintes et faire des recommandations au commissaire sur les décisions à prendre. « Cela n’est pas contraire à la Loi dans la mesure où le commissaire ou un commissaire adjoint à qui la fonction a été déléguée prend lui-même de réelles décisions après examen des recommandations et en demeure imputable. »
Au ministère, la porte-parole Noémie Vanheuverzwijn soutient qu’aucune directive formelle n’a été envoyée aux établissements de santé pour remplacer les commissaires aux plaintes par des délégués. L’orientation ministérielle ne visait qu’à répondre aux établissements qui s’interrogeaient sur cette possibilité, assure-t-elle.
Au CISSS des Laurentides, la nouvelle commissaire aux plaintes, Marie-Josée Boulianne, affirme pourtant qu’elle n’a pas eu le choix : « La consigne vient d’en haut et on a suivi les orientations qui nous ont été soumises. » Selon elle, « la centralisation des services permet aujourd’hui d’offrir un meilleur service à l’usager ».
L’utilisation d’un délégué pour traiter et examiner les plaintes [...] est non seulement illégale, mais compromet plusieurs droits des usagers.
C’est inacceptable, s’indigne. Le ministre nous a dit que jamais il ne toucherait aux services aux usagers, mais les plaintes, c’est un service aux usagers. Ce n’est pas fait pour les gestionnaires, c’est fait pour les usagers pour s’assurer de la qualité des services.