Feu vert aux frais accessoires

Se disant incapable de financer davantage les cliniques médicales spécialisées, le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, s’apprête à transmettre la facture aux patients en « normalisant » les frais accessoires.
« Je pourrais très bien arriver et dire, à partir de maintenant, je couvre la totalité du service en question dans la RAMQ. Mais quand j’ai fait l’évaluation récemment — ça fait un mois que je suis là-dessus —, c’est une facture qui peut grimper jusqu’à au moins 50 millions de dollars, explique le ministre Barrette en entrevue. Est-ce que moi, j’ai les moyens de ramener dans le public toutes ces activités ? La réponse à ça, budgétairement, c’est non. Maintenant, est-ce que je peux mettre en place une réglementation qui vient normaliser la situation, c’est-à-dire enlever toute possibilité d’abus et encadrer d’une façon très serrée le coût au patient et l’uniformiser, la réponse c’est oui. »
Le ministre entend donc permettre aux cliniques de facturer des frais accessoires qui seront déterminés par un comité tripartite, composé du ministère, des fédérations médicales et d’un expert indépendant. Ce dernier évaluera le coût réel d’un soin assuré offert en clinique privée qui servira de référence. Les cliniques seront autorisées à facturer au patient des frais supplémentaires allant jusqu’à 15 % du prix coûtant. Les frais accessoires seront permis seulement dans les cas où ils sont déjà existants, assure le ministre. « Ce ne sera pas le bar ouvert et il n’y aura pas de nouveaux frais accessoires. »
Question d’habitude
Le ministre estime qu’il n’y aura pas de réelle opposition de la part des patients qui sont habitués à débourser un certain montant en plus de présenter leur carte soleil lorsqu’ils subissent une côlonoscopie ou une vasectomie dans une clinique privée. « Le fait d’avoir une partie payante dans certaines circonstances en cabinet, c’est clairement quelque chose qui est accepté au moment où on se parle. Un moment donné, il faut arrêter d’être hypocrite collectivement et de se mettre la tête dans le sable. Ça existe, les gens s’en servent et la majorité des gens qui s’en servent sont bien contents avec ça. »
Le problème, ce sont les abus, constate-t-il. Plusieurs patients se sont d’ailleurs plaints à ce sujet et une action collective est intentée concernant la surfacturation excessive. Sous pression, le Collège des médecins a modifié son code de déontologie en janvier dernier pour interdire aux médecins de facturer des frais accessoires. Ce faisant, il a forcé le gouvernement à prendre une position claire sur la question.
En effet, en date du 7 juillet, la « période de grâce » accordée par le Collège des médecins expire et ses membres devront se conformer à toutes les nouvelles mesures du code de déontologie. Privées des revenus liés aux frais accessoires camouflés sous les coûts de médicaments, plusieurs cliniques menaçaient de fermer leurs portes car les montants accordés au médecin pratiquant en cabinet ne suffisaient pas à en assurer la rentabilité, plaidait notamment l’Association des cliniques médicales du Québec. « Le Collège des médecins a pris une décision qui était lourde de conséquences et qui exige de prendre une décision de la part du gouvernement […] On va normaliser la situation et il n’y aura plus d’abus. »
Amendes
C’est par l'entremise du projet de loi 20 que le ministre entend procéder. Des amendements, dont Le Devoir a obtenu copie, devraient être déposés sous peu, confirme le ministre. Ces amendements viennent « effacer le tableau qui existe pour le réécrire tout de suite par voie réglementaire », vulgarise le ministre. Or, l’étude du projet de loi 20 a été suspendue jusqu’à la reprise des travaux parlementaires en août prochain, alors que les cliniques demandaient une intervention de l’État avant la date butoir du 7 juillet.
« Il est possible pour moi de demander au Collège des médecins de surseoir à l’application de son nouveau code de déontologie. Je l’ai exploré [cette possibilité] et le Collège nous a laissés entendre que ce serait peut-être quelque chose de faisable si le message que l’on envoie est clair. Maintenant, pour moi, dans la clarté du message, je pourrais modifier mon amendement et dire que c’est rétroactif au 7 juillet. »
La nouvelle réglementation du ministre prévoit également des amendes plus salées pour les médecins qui seraient pris en faute de surfacturation abusive. La RAMQ a déjà le pouvoir de le faire, mais ne sévit jamais, reconnaît le ministre à l’autre bout du fil. « Je sais bien, mais c’est parce qu’il y avait un problème de clarté dans les règlements et les lois. Nous, ce qu’on vient de faire, c’est qu’on vient une fois pour toutes clarifier cette situation et la normaliser dans les règlements. »
À la Fédération des médecins spécialistes du Québec, la présidente Diane Francoeur se réjouit de cette annonce, elle qui réclamait depuis longtemps — tout comme son prédécesseur, Gaétan Barrette — une clarification des règles du jeu pour les médecins propriétaires de cliniques. « On est soulagés. Depuis l’annonce du nouveau code de déontologie, on s’entendait tous sur la même vision, on voulait un certain balisage, plus d’accessibilité pour le patient avec des montants fixes représentant le coût réel pour s’assurer que la clinique peut rouler. Nous sommes contents que le ministre réponde enfin à cette demande, car le deadline était à nos portes. »
Au Collège des médecins, on s’abstient de tout commentaire dans l’attente de l’annonce officielle du gouvernement.
Le fait d’avoir une partie payante dans certaines circonstances en cabinet, c’est clairement quelque chose qui est accepté au moment où on se parle. Un moment donné, il faut arrêter d’être hypocrite collectivement et de se mettre la tête dans le sable. Ça existe, les gens s’en servent et la majorité des gens qui s’en servent sont bien contents avec ça.