Onde de choc chez les cadres de la santé

Les postes de milliers de cadres du réseau de la santé seront abolis le 31 mars prochain. Tout le monde sera mis au ballottage, dans l’incertitude la plus totale, sans obligation pour Québec de replacer ceux qui resteront bredouilles ailleurs dans le réseau dans un poste correspondant à leur expérience.
C’est dans l’épaisse liasse d’amendements déposés vendredi lors de l’adoption du projet de loi 10 que Québec a modifié substantiellement les conditions de travail qui lie le gouvernement et ses gestionnaires afin de nommer les cadres des nouveaux établissements fusionnés par la réforme.
La surprise est totale pour les principaux intéressés, qui sont tombés en bas de leur chaise. « Si Québec osait faire ça à des syndiqués, ils seraient dans la rue, en grève illégale ! » s’impatiente Yves Bolduc, le président-directeur général par intérim de l’Association des gestionnaires des établissements de santé et de services sociaux (AGESSS). En entrevue avec Le Devoir, il affirme que Québec avait pourtant assuré cet automne que les conditions de travail des cadres seraient respectées pendant la transition. « Ça a été la commotion pour nous vendredi soir », dit M. Bolduc. Il estime que quelque 4000 membres de son association, ceux qui occupent des postes administratifs et non pas cliniques, seraient touchés. Ces gestionnaires s’occupent de la paie, des ressources humaines, des listes de rappel des infirmières, pour ne nommer que ces exemples. Ils sont les rouages des établissements de santé et de services sociaux.
Ils seraient environ 1700 du côté des cadres supérieurs dans la même situation. Au total, environ 6000 cadres seraient donc concernés.
Un amendement lourd de conséquences
Vendredi, l’article 148.1 du projet de loi 10 a été adopté avec cet amendement dont personne, dans le réseau, n’avait semble-t-il pris connaissance auparavant. Québec fixe ainsi au 31 mars prochain l’abolition de tous les postes de cadres supérieurs, de hors cadres et de cadres intermédiaires qui exercent des fonctions administratives. Des milliers de personnes ont moins de deux mois pour décider de leur avenir professionnel.
« Les employeurs se trouveront déchargés de l’obligation […] de replacer un cadre dont le poste est aboli dans un poste correspondant à sa formation et à son expérience. En effet, dès le 1er avril 2015, l’amendement adopté placera tous ceux qui occupent de tels postes au ballottage », analyse l’Association des cadres supérieurs de la santé et des services sociaux.
« Aujourd’hui, je crains très sérieusement qu’on aille dans le mur. Qu’on écrème le réseau public de ses meilleures ressources, de son expertise et de son expérience », dit sa directrice générale, Carole Trempe. Elle craint que la moitié des gestionnaires ne se replacent pas dans les postes qui seront ouverts dans la foulée des fusions. Québec n’a toujours pas dévoilé combien de postes de gestionnaires seront ouverts, et combien abolis. Plusieurs chercheraient déjà une porte de sortie avant la grande période d’incertitude qui se profile.
Les cadres supérieurs sont directeurs des ressources humaines, des finances, des soins infirmiers, des services professionnels, par exemple, ou encore, poste important pour les usagers, commissaires aux plaintes et à la qualité.
D’ici le 31 mars, les gestionnaires devront choisir : accepter de rester trois ans dans le réseau, en disponibilité, en espérant qu’un poste intéressant se libère. Ou encore partir, soit à la retraite, soit avec une indemnité de départ de 12 mois, là où 24 mois étaient offerts auparavant dans bien des cas.
Les nouvelles règles amputeront les revenus de retraites de certains, dit Yves Bolduc. « Ceux qui sont à quelques années de la retraite vont subir une pénalité de 4 % pour le restant de leurs jours », dit-il.
Seuls les p.-d.g. et les directeurs généraux, soit environ 200 personnes, s’attendaient à voir leur poste aboli au 31 mars.On croyait que les avis s’échelonneraient dans le temps pour les autres cadres. « On s’attendait à être les premiers en liste, car on ne transforme pas 182 établissements en une trentaine en gardant tous les patrons. Mais c’est assez surprenant de signifier, en même temps, l’abolition des postes de milliers d’autres cadres », dit le p.-d.g. de l’Association des directeurs généraux, André Côté.
Risqué pour le succès de la réforme
Comment la plus ambitieuse réforme du réseau pourra-t-elle se mettre en branle dans ces conditions, demandent les gestionnaires.
« Il va falloir se rendre compte qu’il y a des gestionnaires et qu’ils sont utiles. Ils tiennent le réseau, et cette réforme, à bout de bras. Et de surcroît, on ne nous met même pas dans le coup, alors que notre collaboration, nous l’avons offerte ! » s’impatiente Yves Bolduc.
Tant Mme Trempe que M. Bolduc mettent en doute les économies de 220 millions de dollars que Québec promet d’engranger. « J’ai 35 ans d’expérience dans le réseau, j’ai vu trois autres réformes. Il n’y en aura pas d’économies, c’est jouer avec les chiffres et l’intelligence de la population », dit M. Bolduc.
Au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), le service des communications n’a pas même été en mesure d’indiquer au Devoir combien de cadres, hors cadres et cadres intermédiaires administratifs étaient actuellement en poste.
Du côté du cabinet du ministre de la Santé, on indique que la mesure a pour objectif de « refléter les nouvelles structures du réseau ». « On ne peut divulguer, à ce moment-ci, la nature des postes et le nombre de personnes visées, car celles-ci doivent être avisées en premier », ajoute l’attachée de presse de Gaétan Barrette, Joanne Beauvais.