La dissidence plutôt que la soumission

Le Dr Demers s’élève contre les projets de loi 10, la réforme administrative, 20, la réforme de la rémunération médicale, et 28, qui touche les pharmaciens.
Photo: Jacques Nadeau Archives Le Devoir Le Dr Demers s’élève contre les projets de loi 10, la réforme administrative, 20, la réforme de la rémunération médicale, et 28, qui touche les pharmaciens.

Médecin en CLSC à Montréal, chef de son département, membre de l’équipe itinérance du centre-ville, assumant des gardes en soins palliatifs : le Dr Vincent Demers est un exemple d’engagement envers le système public de santé et les clientèles vulnérables.

Mais il y a quelques jours, il a remis sa démission. Dans l’intention de lancer un message à caractère politique, il a décidé de quitter son poste, et même de se désengager de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ).

« C’est un geste engagé que je pose en me désengageant. Je le sens comme un devoir. Je n’accepte pas de travailler dans un système où règne le mépris », déclare-t-il dans une entrevue exclusive accordée au Devoir, mardi.

Sa dissidence est la conséquence directe de l’attitude du ministre de la Santé Gaétan Barrette à l’égard des médecins de famille et du système de santé en général. Le Dr Demers s’élève contre les projets de loi 10, la réforme administrative, 20, la réforme de la rémunération médicale, et 28, qui touche les pharmaciens.

« Ce n’est pas le ministre des humains ni de la santé, dit, tranchant, le Dr Demers. Je refuse de travailler sous quotas. Mes patients, ce n’est pas du bétail, ce sont des humains ! »

Avec sa décision de quitter sa pratique sur la Côte-Nord il y a quelques années, il affirme que ça a été le geste le plus difficile à poser de sa carrière. Mais il l’assume pleinement. Sa démission sera effective en juin.

Il ne voit pas de retour possible tant que Gaétan Barrette sera en poste à Québec. « Le mépris, la dévalorisation, la manipulation des données, l’incitation au public à nous mépriser… Je mets mon poing sur la table. Tant que ça dure, je quitte ce régime. Je ne m’attends pas à ce que le ministre change d’attitude. Il est dans la confrontation comme s’il avait une guerre à gagner, plutôt que de se montrer ouvert aux solutions proposées. »

Dans la lettre de démission remise à son CSSS, lettre qui a circulé sur les réseaux sociaux, le Dr Demers explique que le mode de travail exigé dans le projet de loi 20 « entrave l’autonomie professionnelle et s’ingère dans la façon de rendre des services professionnels de qualité à nos patients, encourageant le volume de patients, le travail à la chaîne et la dépersonnalisation des services au détriment de la qualité des soins, sans soutien approprié, nous exposant à des risques médico-légaux et exposant nos patients à des erreurs médicales ».

 

N’allez pas, en juin, chercher le Dr Demers dans une clinique privée carburant aux profits. Il promet de rester fidèle à ses valeurs. Il déménage à Québec, d’où il est originaire, et pourra du même coup rejoindre sa conjointe. Il aurait pu y obtenir un poste dans le système public, option qu’il a écartée au lendemain de Noël, découragé par une nouvelle déclaration du ministre dans les médias.

Le Dr Demers se défend d’abandonner ses patients — il tente de leur trouver un nouveau médecin — et de renier ses convictions sociales.

« Je ne veux pas aller au privé pour faire de l’argent, jure-t-il. Je crois que je peux trouver une façon socialement responsable de gagner ma vie hors RAMQ. » En combinant enseignement universitaire et suivi de patients à son compte, il continuera à travailler, bénévolement, auprès des plus vulnérables, notamment les itinérants. Il s’attend à une baisse de ses revenus.

D’autres collègues pourraient-ils l’imiter et passer au privé ? « Je ne veux pas inciter les médecins à se désengager. C’est un geste personnel », répond le Dr Demers.

Des collègues lui ont confié comprendre sa décision quelque peu radicale, voire qu’ils pensaient l’imiter.

Un exode possible?

 

Il est trop tôt pour vérifier si le climat de confrontation actuel incite davantage de médecins à quitter le régime public. En date du 23 janvier 2015, il y avait 302 médecins non participants, dont 220 omnipraticiens (voir tableau). À pareille date l’an dernier, ils étaient 198 omnipraticiens et 76 spécialistes. Depuis cinq ans, de 15 à 25 médecins de famille quittent le régime public chaque année, alors que chez les spécialistes, le nombre de médecins pratiquant hors RAMQ est plutôt stable

Le président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), le Dr Louis Godin, craint tout de même un certain exode. « Je n’ai jamais senti un tel ressentiment chez les médecins. C’est sûr que certains vont partir et que des étudiants vont choisir autre chose que la médecine familiale », croit-il. Plusieurs lui ont confié avoir envie de partir pour la retraite, le privé ou une autre province. « À quel point ça va se concrétiser, je ne sais pas, mais il n’y a pas de fumée sans feu. Il y en a qui ne veulent pas travailler dans un environnement comme ça. »

 

Le ministre Gaétan Barrette s’inquiète-t-il de la possibilité d’un exode des médecins de famille vers le privé ? Il estime que la loi lui donne la latitude nécessaire pour agir, si cela s’avérait. En effet, l’article 30 de la loi sur l’assurance maladie autorise le ministre à empêcher les médecins hors RAMQ à réclamer des honoraires plus élevés que ceux ayant cours au public. La RAMQ peut alors rembourser les patients sans frais additionnels. Cette disposition de la loi s’applique quand le nombre de médecins non participants est si élevé que les besoins de la population ne peuvent plus être satisfaits. Elle n’a jamais été utilisée. Le ministre a « confiance que les médecins choisiront de mettre les patients au coeur de leur décision », dit Joanne Beauvais, son attachée de presse.


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