Le projet de loi 10 ouvrirait la porte à la sous-traitance

Ce texte fait partie du cahier spécial Santé - Mobilisation
Le projet de loi 10, modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux, notamment par l’abolition des agences régionales, fait peser des risques lourds sur l’avenir des services sociaux et de santé offerts à la population, estiment Pierre Soucy, président du Conseil provincial des affaires sociales du Syndicat canadien de la fonction publique, et Nicole Déry, vice-présidente de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux.
En centralisant entre les mains du ministre les pouvoirs de décision ayant trait aux services et aux soins, le projet ouvre la porte à la mainmise du secteur privé, conformément aux tendances affichées par le gouvernement en place, qui « se désengage de tout », estime Pierre Soucy.
« Le projet de loi est très intéressant pour le secteur privé et pour la sous-traitance », explique Pierre Soucy. Alors que la sous-traitance existe déjà à tous les niveaux, la création de mégastructures permettra de rendre les contrats et les marchés beaucoup plus lucratifs et attrayants pour les entreprises privées. « Le gâteau devient plus gros. À Québec, dans Portneuf et dans Charlevoix, il y a 27 000 personnes qui travaillent dans plusieurs centres hospitaliers et centres de services. Désormais, il ne s’agirait que d’un seul employeur, qui pourrait accorder des contrats pour les trois régions. » Auparavant à l’échelle locale, le marché se dote d’un potentiel régional. « Plus c’est gros, plus ça ouvre la porte au secteur privé. »
Poursuivant un mouvement déjà amorcé depuis plusieurs années, la sous-traitance pourra se développer dans tous les domaines : en cuisine, dans l’entretien ménager et immobilier, en informatique ainsi que dans les soins à domicile, les chirurgies d’un jour, les agences de placement d’infirmières ou de préposés aux bénéficiaires et les transcriptions médicales.
Quant aux conséquences, elles sont à craindre du côté de la qualité des services. « Quand une entreprise envoie des personnes qui ne connaissent pas un établissement, qu’il s’agisse d’infirmières ou de plombiers, ça ne fait que ralentir les services et multiplier les causes d’erreur possibles. » D’autant plus que le sentiment d’appartenance au lieu de travail n’existe pas et que le souci du travail bien fait risque d’en pâtir. « Une entreprise cherche à faire un maximum de profits. Elle a intérêt à sous-payer sa main-d’oeuvre, d’autant plus qu’elle ne sera pas là pour subir les conséquences d’un travail bâclé. »
Sous-traiter la maintenance informatique d’un établissement n’est guère plus avantageux. « Aux prises avec un problème informatique, nous nous retrouverons à appeler une centrale qui se situe à des centaines de kilomètres, qui nous demande si nous avons essayé de faire redémarrer notre ordinateur. »
Quant aux patients, ils doivent se tourner de plus en plus vers le secteur privé pour faire analyser les résultats de leur prise de sang après une consultation ou pour passer une radiographie, ce qui entraîne des frais supplémentaires.
Dans le projet de loi 10, « il n’y a rien pour le patient, pour améliorer l’accessibilité aux soins et pour régler les problèmes urgents du réseau de la santé ». Au lieu de cela, Pierre Soucy dénonce les airs de dictateur pris par le gouvernement lorsqu’il brandit la menace du bâillon.
Selon Nicole Déry, il suffit de regarder le passé pour comprendre ce qui se profile. « Il y a 10 ans, la loi 25 et la création des CSSS avaient les mêmes objectifs que le projet de loi 10. » Mais les investissements n’ont pas suivi, les listes d’attente n’ont fait que s’allonger et les patients se sont tournés vers le secteur privé. « Quand une personne âgée attend 9 ou 10 mois pour avoir une évaluation à son domicile, comme c’est trop long, on l’incite à aller au secteur privé ou à l’hôpital, ce qui finit par coûter plus cher au système. »
Avec le projet de loi 10, « au lieu de chercher à améliorer la situation actuelle, on rebrasse les cartes et on crée des structures beaucoup plus grosses ». Selon elle, aucune amélioration n’est à prévoir et les premières lignes ne sont même pas concernées par le projet de loi.
Le recours au secteur privé et à la sous-traitance est inévitable. « La nature a horreur du vide : pendant que nos ressources sont occupées à réformer les structures, le secteur privé y verra une belle occasion de s’implanter. Nous n’aurons plus le temps de nous occuper des services pendant les prochaines années. » D’autant plus que ces réformes sont bien parties pour se dérouler « dans la précipitation, sans coordination rigoureuse ni vision d’ensemble ».
Le projet est d’autant plus critiqué qu’il n’a pas reçu l’appui des principaux acteurs du réseau : les établissements, les patients, le milieu communautaire et même les médecins n’ont pas appuyé le projet.
En revanche, le projet semble être mieux apprécié de la Fédération des chambres de commerce du Québec, qui, dans un communiqué de presse, a déclaré qu’elle approuve le projet de loi et propose une contribution accrue du secteur privé, arguant que, « d’un point de vue du développement économique, les entreprises peuvent profiter des marchés publics pour prendre de l’expansion, notamment dans les fonctions auxiliaires (comme l’entretien ménager ou les services informatiques), les chirurgies d’un jour ou encore l’hébergement et les soins de longue durée pour personnes âgées ».
« C’est là qu’on s’en va, déplore Pierre Soucy, vers la mort du système. Notre seul espoir, c’est de se lever et de se mobiliser contre ça. »
La création de mégastructures permettra de rendre les contrats et les marchés beaucoup plus lucratifs et attrayants pour les entreprises privées.
« C’est là qu’on s’en va, déplore Pierre Soucy, vers la mort du système. Notre seul espoir, c’est de se lever et de se mobiliser contre ça. »
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