On craint pour l’avenir des centres jeunesse

Marie-Ève Cloutier Collaboration spéciale
On pourrait bien assister à la privatisation des centres jeunesse, comme ce fut le cas dans les milieux pour personnes âgées, si leurs ressources financières deviennent appauvries par suite du transfert des budgets là où les besoins semblent plus urgents.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir On pourrait bien assister à la privatisation des centres jeunesse, comme ce fut le cas dans les milieux pour personnes âgées, si leurs ressources financières deviennent appauvries par suite du transfert des budgets là où les besoins semblent plus urgents.

Ce texte fait partie du cahier spécial Santé - Mobilisation

Les immenses structures qui seraient créées après l’adoption du projet de loi 10, modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux et présenté par le ministre Gaétan Barrette, pourraient bien nuire à la mission des centres jeunesse, en plus d’entraîner leur privatisation, selon différents porte-parole syndicaux.

« Nous sommes très inquiets à cause de ce projet de mégafusion des établissements de santé, car cette fois-ci on ratisse très large. On prétend que les services sociaux et les ressources humaines ne seront pas affectés par la restructuration, mais nous nous permettons d’en douter », souligne Daniel Boyer, le président de la Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec (FTQ).

Le projet de loi 10 prévoit l’abolition des agences de la santé et la constitution de centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) par la fusion de tous les autres établissements du réseau dans une même région, soit les hôpitaux (à quelques exceptions près), les centres de santé et de services sociaux (CSSS), les centres de réadaptation et les centres jeunesse.

« Un CSSS n’a pas la même mission qu’un centre jeunesse. L’un fonctionne en raison de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, et l’autre en raison de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ). L’équipe de première ligne dans un CSSS peut aider les jeunes grâce à son volet psychosocial, mais il faut comprendre qu’un travailleur social ne peut intervenir auprès d’un jeune que s’il est volontaire, à moins qu’il ne soit nécessaire de faire un signalement au centre jeunesse en rapport avec la LPJ. Ma crainte est qu’il y ait moins d’étanchéité entre les cas volontaires et les cas non volontaires », souligne Ginette Langlois, vice-présidente de la Fédération des professionnels de la CSN.

Du préventif vers le curatif

 

Selon Mme Langlois, l’hospitalocentrisme observé dans le projet de loi 10 mènera à l’engloutissement des services préventifs par les soins curatifs. « Avec les fusions, nous nous retrouverons avec un seul établissement doté de plusieurs missions différentes et avec une seule enveloppe budgétaire. Tout le monde voudra tirer la couverture de son bord, mais nous savons tous que, lorsqu’il est temps de rééquilibrer un budget, ce sont les services préventifs qui écopent en premier », fait-elle valoir.

De plus, certains territoires deviendront immenses à gérer pour un seul CISSS incorporant tous les établissements de santé, de services sociaux et de prévention. « Dans la région de Chaudière-Appalaches, par exemple, le Centre jeunesse a sept bureaux afin de couvrir un territoire qui s’étale sur 200 km. Comment imaginer qu’une seule direction générale, avec un seul conseil d’administration et un seul budget, arrive à tout gérer ? », demande Ginette Langlois.

Risques de privatisation

 

On pourrait bien assister à la privatisation des centres jeunesse, comme ce fut le cas dans les milieux pour personnes âgées, si leurs ressources financières deviennent appauvries par suite du transfert des budgets là où les besoins semblent plus urgents, croit Daniel Boyer.

« Les administrations des CISSS vont gérer leur budget en attribuant l’argent “ là où ça saigne ”.D’un autre côté, la population du Québec augmente, donc nous avons toujours autant de jeunes qui ont des besoins. Par manque de moyens, il ne serait pas étonnant de voir se créer d’autres services en milieu privé où il faudrait payer. C’est un peu ce qu’on a pu observer il y a quelques années avec la diminution des ressources dans les CLSC après la création des CSSS. Le désengagement de l’État envers les aînés a laissé la porte ouverte au secteur privé pour encadrer ce domaine », raconte le président de la FTQ.

Plus ça change, plus c’est pareil

Nicole Déry, vice-présidente de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), ne se gêne pas pour dire que la réforme proposée dans le projet de loi 10 est tout simplement « monstrueuse ». « Sans compter que personne dans le milieu n’adhère à ce que présente le ministre de la Santé », ajoute-t-elle.

Cette nouvelle réforme n’est pas sans rappeler le projet de loi 25, qui avait mené à la fusion des centres hospitaliers, des centres d’hébergement et de soins de longue durée et des CLSC en 2003. « Sauf que, cette fois-ci, le projet est encore plus gros que celui proposé il y a 10 ans. Pourtant, plusieurs études démontrent que ce n’est pas en fusionnant des établissements pour créer des mégastructures qu’on améliore les canaux de communication entre les différents services, au contraire », mentionne Nicole Déry.

Au lieu de dépenser encore du temps, de l’argent et de l’énergie dans une nouvelle réforme, on ferait mieux de tenter d’améliorer notre système actuel, suggère Mme Déry. « Il existe des endroits au Québec, comme en Gaspésie, où les CSSS ont réussi à créer des corridors de services efficaces vers les centres jeunesse », laisse-t-elle entendre.

Ginette Langlois abonde dans ce sens. « Notre système de santé n’est peut-être pas parfait, mais il fonctionne bien. Il existe des solutions autres que la fusion de nos établissements de santé pour l’améliorer. Ces moyens passent entre autres par une modification de la rémunération des médecins et par l’amélioration des services de première ligne. On l’exige pourtant depuis des années et on le répète : on n’investit pas assez en matière de prévention », insiste Mme Langlois.

«Nous savons tous que, lorsqu’il est temps de rééquilibrer un budget, ce sont les services préventifs qui écopent en premier »

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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