Le milieu de la prévention organise la riposte

Le secteur de la santé chargé de la prévention, comme la lutte contre le tabagisme, défend son utilité devant les menaces que représentent les compressions et la réforme de la santé orchestrée par le gouvernement Couillard.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Le secteur de la santé chargé de la prévention, comme la lutte contre le tabagisme, défend son utilité devant les menaces que représentent les compressions et la réforme de la santé orchestrée par le gouvernement Couillard.
Menacé tant par des compressions sans précédent que par une réforme de la santé qui est qualifiée par plusieurs « d’hospitalocentriste », le milieu de la santé publique et de la prévention organise la riposte.​
 

Sabrer en santé publique, c’est l’équivalent de laisser tomber les fruits, les légumes et le lait pour acheter des boissons gazeuses : moindre coût immédiatement, conséquences importantes plus tard, illustre Lucie Granger, directrice générale de l’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ).

Coupes de 30 % dans les directions de santé publique, remise en question de la liberté de parole des directeurs de santé publique, faible priorité accordée à la prévention, réorganisation et centralisation du réseau, le milieu s’inquiète. « Le téléphone sonne beaucoup, relate Mme Granger. On répond à ce mouvement spontané. » Aussi, dans les prochaines semaines, une forme d’alliancevisant à défendre la santé publique et à en faire la promotion verra le jour, révèle-t-elle. « La santé publique est un service essentiel et on tient à le garder, dit Mme Granger. La prévention doit être au coeur de notre système de santé, et non pas une simple ligne comptable qu’on peut faire disparaître ! »

Elle rappelle que plus de la moitié des maladies chroniques et des cancers sont évitables. Avec la croissance des coûts des soins de santé, « toutes les initiatives pour créer de la santé doivent être mises à l’avant-plan ! » plaide-t-elle.

Des services touchés

 

Même si le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) affirme que les coupes d’un poste sur trois dans les directions de santé publique toucheront des fonctions « administratives » uniquement, la directrice de l’APSP est formelle : les services à la population seront touchés. Elle s’inquiète pour des programmes permettant aux femmes enceintes pauvres d’avoir accès à des aliments de base comme le lait et les oeufs et pour des marchés ambulants qui rendent fruits et légumes accessibles dans les quartiers défavorisés, par exemple.

« C’est comme planifier sa retraite, mais au niveau de la société. Économiquement, on ne peut pas passer à côté. C’est un investissement », fait valoir celle qui a travaillé dans le domaine des finances par le passé.

Mme Granger plaide pour la liberté de parole des chercheurs en santé publique employés du gouvernement et des directeurs de santé publique, liberté qui, selon plusieurs sources dans le milieu, dérange le gouvernement. « Oui, c’est parfois inconfortable pour le gouvernement, mais il vaut mieux connaître les risques avant de rentrer dans le mur de béton, illustre-t-elle. On a vu ce que donnent les politiques du gouvernement Haper avec le contrôle de la science et des scientifiques. Je ne pense pas que le premier ministre Philippe Couillard souhaite recréer cela au Québec. »

« S’il n’y avait pas eu la santé publique, les gens continueraient à mourir d’amiantose par dizaines », rappelle Camil Bouchard. Le professeur de psychologie retraité de l’UQAM, auteur du célèbre rapport « Un Québec fou de ses enfants » et ancien député du Parti québécois, est indigné.

Il rêve que le MSSS s’équipe d’un tableau de bord qui indiquerait en temps réel les cas de cancer évités grâce à des politiques publiques comme la lutte contre le tabagisme. « Un événement qui ne se produit pas est un non-événement. C’est pour cette raison que la santé publique a de la difficulté à faire valoir son importance : elle évite des événements indésirables avant qu’ils ne se produisent ! » Améliorer la qualité de l’air autour d’une raffinerie, épauler les mères adolescentes ou lutter contre l’alcoolisme : on connaît les coûts des campagnes, on mesure rarement l’ampleur les retombées, tant économiques que sociales.

Prise de parole nécessaire

 

Camil Bouchard reproche au gouvernement libéral de ne pas comprendre ce qu’est la santé publique. S’irriter de la prise de parole des médecins et chercheurs et la qualifier de « politique » est une grave erreur, dit-il. « Il faut faire une différence entre des professionnels de la santé qui surveillent et alertent et des politiciens. Si 26 % des enfants qui entrent à la maternelle sont vulnérables, ça va coûter combien plus tard ? La santé publique fait économiser de l’argent non seulement au MSSS, mais aux autres ministères aussi ! »

Recevant mardi un Prix du Québec, M. Bouchard a profité de la tribune pour lancer une pointe bien sentie. « Transformer le Québec en station-service pour des fins d’exportation du pétrole des sables bitumineux n’est vraiment pas une innovation sociale. C’est plutôt une agression sociale et environnementale », a-t-il lancé.

Pour M. Bouchard, il est « évident » que le malaise de Québec avec la santé publique a un lien avec le dossier du pétrole, puisque les questions de santé soulevées par son exploitation, son utilisation et son transport sont importantes. L’Institut national de santé publique (INSPQ) avait d’ailleurs été très critique envers l’exploitation possible du gaz de schiste.

Jean Rochon, autre figure marquante de l’histoire de la santé publique au Québec, est « renversé » par le manque de compréhension du gouvernement des enjeux de la prévention. Rencontré dans le cadre d’une journée stratégique de l’Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux (AQESSS), celui qui a été ministre de la Santé sous les gouvernements Parizeau et Bouchard croit qu’un dialogue est encore possible. « Il faut faire comprendre ce qu’on perd, alors que le Québec est vu à l’étranger comme un système à émuler ! La population et le gouvernement doivent réaliser tout ce qui sera perdu pour quelques millions d’économisés. »

C’est parfois inconfortable pour le gouvernement, mais vaut mieux connaître les risques avant de rentrer dans le mur de béton.

S'il n’y avait pas eu la santé publique, les gens continueraient à mourir d’amiantose par dizaines.

La population et le gouvernement doivent réaliser tout ce qui sera perdu pour quelques millions d’économisés.

À voir en vidéo