Une réforme prévisible aux résultats incertains

Martine Letarte Collaboration spéciale
En 2003, alors qu’il était ministre de la Santé, Philippe Couillard s’était engagé à abolir les régies régionales. Il aura atteint son objectif en deux temps.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir En 2003, alors qu’il était ministre de la Santé, Philippe Couillard s’était engagé à abolir les régies régionales. Il aura atteint son objectif en deux temps.

Ce texte fait partie du cahier spécial Santé 2014 - L'incertitude

Pour tenter de retrouver l’équilibre budgétaire en 2015-2016, le gouvernement de Philippe Couillard demande un effort généralisé à ses troupes pour réduire les dépenses de l’État. Comme 45 % des dépenses du gouvernement du Québec sont consacrées à la santé et aux services sociaux, les changements qui y sont annoncés sont nombreux. Le gouvernement se conforme-t-il à ce qu’il avait annoncé ? Le ministre a-t-il un plan ? Entrevue avec Louis Demers, professeur et chercheur à l’École nationale d’administration publique (ENAP).

En 2003, les libéraux de Jean Charest prennent le pouvoir. Philippe Couillard est le ministre de la Santé et des Services sociaux. Il se donne pour objectif principal de désengorger les urgences. Pour rendre le système de santé plus efficace, sa solution est de fusionner les CLSC et les centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) avec, sauf exception, l’hôpital de la région pour créer les centres de santé et de services sociaux (CSSS). Il s’est aussi engagé à abolir les régies régionales en santé. Il voulait ainsi que les décisions fussent prises plus près des citoyens. Finalement, les régies régionales ont été remplacées par les agences de la santé et des services sociaux. Dernièrement, alors que Philippe Couillard est devenu premier ministre du Québec, son ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, a décidé de fusionner les agences et les CSSS pour créer des centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS).

« Que le gouvernement libéral de Philippe Couillard prenne ces décisions aujourd’hui n’est pas incongru lorsqu’on regarde ce qui s’est passé en 2003, affirme Louis Demers, spécialiste de l’organisation des services de santé et des services sociaux. Philippe Couillard aura atteint son objectif en deux temps. »

En parallèle, dans son budget présenté en juin, le gouvernement libéral prévoit une augmentation des sommes attribuées en santé de 3 % cette année et de 2,7 % l’an prochain, alors que la croissance naturelle en santé est de 3,9 %. Cette réalité oblige donc les établissements à sabrer leur budget.

L’objectif de la réforme administrative est de diminuer le taux d’encadrement pour arriver à réduire les dépenses tout en améliorant les services pour le citoyen.

Aucune démonstration concluante

 

Est-ce une stratégie efficace ? « Il n’y a pas eu de démonstration que les fusions donnent de tels résultats, lance Louis Demers. Toutes les études montrent que, lorsqu’on procède à de grands travaux de réorganisation interne, pendant quelques années, on voit de l’insécurité, des déplacements de postes, des travailleurs qui n’ont pas de chaise en arrivant le matin, etc. Tout ça consomme énormément de temps et d’énergie. À court terme, les grandes réorganisations nuisent à la cohésion du système de santé et ne permettent pas d’améliorer la qualité des soins comme le souhaite le ministre Gaétan Barrette. »

À long terme, il remarque que le proverbe « Chassez le naturel, il revient au galop » prend tout son sens.

« Disons qu’on avait quatre cadres dans quatre établissements qui s’occupaient d’un type de service, puis qu’on fusionne les quatre établissements et qu’on garde seulement un cadre pour s’occuper du grand service regroupé. On économise trois postes de cadre, mais, dans la vraie vie, une partie du travail réalisé auparavant par les quatre cadres ne pourra pas être réalisée par un seul, alors on finit souvent par embaucher des adjoints ou d’autres cadres, explique Louis Demers. C’est pour cette raison que généralement, quelques années après une fusion, on voit le nombre de cadres remonter au même niveau qu’auparavant. »

Le gouvernement ne serait pas étranger à ce grand besoin de cadres, d’après le chercheur.

« On demande une reddition de comptes de plus en plus importante dans le réseau de la santé, note Louis Demers. Les différents intervenants et les établissements doivent remplir énormément de formulaires. Ça consomme du temps, ça alourdit le système et cela a un coût net. On dit qu’il y a trop de cadres, mais une grande partie de cet encadrement est voulue par le gouvernement, puisque cela lui donne un meilleur contrôle sur le réseau. »

D’après l’analyse du chercheur, cette réforme administrative, où on affirme vouloir « couper dans le gras du système », apparaît être une justification pour dire qu’on ne coupera pas dans les services.

Un plan

 

En campagne électorale, le Parti libéral s’était engagé à réduire, en début de mandat, les dépenses de l’État.

« Les coupes étaient annoncées, sinon prévisibles, affirme Louis Demers. Avec la présentation d’un projet de loi, on ne peut pas non plus parler d’improvisation, puisqu’il faut prendre le temps de le préparer. »

Toutefois, l’Association québécoise des établissements de santé et de services sociaux (AQESSS) a invité, au début de septembre, le ministre à consulter les établissements de santé pour préparer sa réforme et a dénoncé la précipitation dans laquelle les fusions semblaient se dessiner. Vingt jours plus tard, le projet de loi du ministre a été déposé.

« La décision a été prise d’en haut, constate Louis Demers. Les réformes passées en santé se sont faites à la suite de longues commissions d’enquête sur la santé et les services sociaux. La commission Castonguay-Nepveu avait siégé plusieurs années; formée en 1966, elle avait recommandé notamment la création de l’assurance-maladie, et le gouvernement avait adopté son projet de loi dans le domaine en 1970. Au milieu des années 80, la commission Rochon a siégé environ deux ans, puis la commission Clair a siégé plusieurs mois. Cette fois-ci, pour accoucher de ce projet de loi, il n’y a pas eu de commission d’enquête, alors on ne peut pas dire qu’on a pris le temps de diagnostiquer les problèmes pour ensuite trouver des solutions appropriées. »

Pour déterminer de futures coupes dans les dépenses de l’État, le gouvernement libéral a créé en juin la Commission de la révision permanente des programmes, présidée par Lucienne Robillard, ex-présidente du Conseil du Trésor au fédéral et ex-ministre de la Santé et des Services sociaux et de l’Éducation au provincial. Entourée entre autres des économistes Claude Montmarquette et Robert Gagné, elle a pour objectif de réaliser des gains de 3,2 milliards pour l’exercice de 2015-2016 en revoyant la pertinence, l’efficacité et le mode de financement des programmes.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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