Suggestion de lecture pour nouveaux élus

La Dre Marie-France Raynault
Photo: Michaël Monnier - Le Devoir La Dre Marie-France Raynault
Le livre s’intitule Le bon sens à la scandinave. Quand on demande à son auteure, la Dre Marie-France Raynault, si son éditeur en a fait parvenir un exemplaire aux nouveaux élus à Québec, elle rit, d’un rire franc. « Je pense que ça pourrait intéresser Philippe Couillard, oui, mais Denis Coderre aussi ! Bonne idée ! »

Lancé par hasard quelques jours après que le Québec se fut donné un nouveau gouvernement, l’ouvrage se destine à « tous ceux qui ont des décisions à prendre, que ce soit au municipal ou à d’autres niveaux », explique celle qui a consacré toute sa carrière à comprendre les inégalités sociales de santé pour mieux les aplanir. Elle vient à la conclusion qu’il faut s’inspirer des meilleurs : c’est peut-être cliché de le dire, mais c’est vraiment du côté de la Suède, de la Norvège, de la Finlande et du Danemark qu’il faut lorgner.

La directrice du Centre Léa-Roback avoue entretenir une véritable fascination pour le modèle scandinave. À tel point que, quand le ministère des Relations internationales invite un Suédois au Québec, il fait appel à elle pour lui faire la conversation… !

Santé démocratique

« Ma fascination trouve son origine dans le fait qu’ils réussissent à mettre en place des politiques qui sont efficaces à tous points de vue, pour la santé, l’environnement, tout en étant compétitifs économiquement, confie-t-elle. Je veux montrer qu’il y a un univers de possibles qu’on peut regarder ».



Et pour améliorer la santé tout en réduisant les inégalités, il peut y avoir des avenues surprenantes. Un exemple ? Un mode de scrutin proportionnel !

« En Suède, par exemple, ils ont sept partis politiques. Quand ils font des lois, ils doivent les négocier, explique la Dre Raylnault. Ça fait en sorte que tous les aspects à prendre en compte le sont », juge-t-elle. L’environnement ? Le Parti vert veille au grain. Les plus démunis ? La gauche est là. Les travailleurs ? Un parti proche des syndicats répond présent. L’économie ? La droite y tient. « Ça fait des législations plus intégrées. Et les idées nouvelles peuvent faire leur chemin! » Au Danemark, aucun gouvernement n’a été majoritaire depuis… 1909 ! Non seulement les idées politiques sont ainsi plus diversifiées, mais aussi plus de femmes deviennent parlementaires. Elles ont 45 % des sièges en Suède, contre un peu plus de 25 % au Québec.

Selon la Dre Raynault, le mode de scrutin proportionnel favorise aussi la participation citoyenne, puisque les individus se sentent davantage concernés par la politique. La décentralisation accentue cet effet. « Le ministère de la Santé suédois ne fait pas dans la microgestion ! Il se contente de décider des grandes orientations, et ce sont les régions et les municipalités qui les mettent en action. »

On en arrive donc à… Denis Coderre. « Il demande un statut différent pour la métropole. Le modèle scandinave lui plairait, car il y a une grande décentralisation vers les villes, explique-t-elle. Au Québec, les villes au départ ramassaient la neige et les poubelles. Maintenant, elles ont beaucoup d’autres fonctions, mais le système de taxation n’a pas suivi ! C’est difficile pour les municipalités, qui ont la pression pour développer des programmes sans les moyens financiers et législatifs. »

Une philosophie plus qu’un modèle

À force de consultation, de recherche de consensus et de compromis, n’est-ce pas interminablement long avant d’en arriver à des résultats ? Selon la Dre Raynault, pas nécessairement. Ou peut-être si, un peu… Sans que ce soit négatif. « En Suède, la loi sur la Santé publique a pris trois ans à mettre en place. Tout le monde a été consulté, explique-t-elle. Mais ici, on va mettre des choses en place, les politiques vont arriver trop vite et vont être abandonnées quand le pouvoir change de bord, faute de consensus. Je ne suis pas certaine que ça va beaucoup plus vite au bout du compte! »

Selon elle, c’est la philosophie qui est la plus importante à importer, plutôt que des programmes sociaux pas nécessairement faits pour le Québec. « Ils sont présentés comme des pays idéalisés, un peu comme si c’était des Martiens. Pourtant, ils se caractérisent plutôt par leur pragmatisme. Ils s’évaluent continuellement, avec des données probantes, et corrigent le tir quand c’est nécessaire. »

Par exemple : avant de jeter l’idée des groupes de médecine familiale (GMF) au rebut pour favoriser des « super cliniques » ouvertes 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, comme l’avaient promis les libéraux, la Dre Raynault croit qu’il faut prendre le temps d’évaluer l’effet des GMF.

On dit souvent que pour se payer tous ces programmes sociaux, les Scandinaves sont ensevelis sous les taxes et impôts et surtout, doivent exploiter les ressources naturelles comme le pétrole — du moins, c’est vrai pour la Norvège.

« Oui, en Norvège, ils exploitent le pétrole. Mais non seulement ils mettent l’argent dans un fonds pour les générations futures, mais ils taxent aussi l’essence beaucoup plus qu’ici et travaillent à briser leur dépendance au pétrole. » Selon la Dre Raynault, on doit aussi s’inspirer d’eux pour exploiter intelligemment les ressources naturelles de manière rationnelle.



Publié aux Presses de l’Université de Montréal, l’essai est cosigné par la sociologue Dominique Côté.

Le bon sens à la scandinave : Politiques et inégalités sociales de santé
Marie-France Raynault, Dominique Côté
avec la collaboration de Sébastien Chartrand
Les Presses de l’Université de Montréal
Montréal, 2013, 173 pages

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