Des superpoux difficiles à éradiquer
Une nouvelle génération de poux mutants a envahi le cuir chevelu des Canadiens et des États-Uniens, ce qui expliquerait la recrudescence de pédiculose dans ces deux pays, ainsi que l’inefficacité des produits courants à base de pyréthrine ou de perméthrine à les enrayer. Selon une étude publiée dans le Journal of Medical Entomology, ces mutants comptent pour 97 % des poux prélevés sur des Canadiens et 99,6 % sur des Américains.
Si les lotions antipoux contenant de la pyréthrine sont apparues en 1945 et celles incluant des composés de la famille des pyréthrinoïdes (dont la perméthrine) dans les années 1980, les premiers cas de résistance ont été observés en 1994 en France, en 2001 aux États-Unis et en 2005 au Royaume-Uni. Les nouveaux poux résistants possèdent une mutation qui rend certains canaux membranaires de leurs cellules nerveuses insensibles à ces produits qui, normalement, provoquent la paralysie de l’insecte, puis sa mort.
Une nouvelle résistance aux insecticides
Cette mutation est probablement « apparue spontanément. Et comme elle procurait un certain avantage aux individus qui la portaient, elle a été conservée », explique l’auteur principal de l’article, John Clark, professeur à l’Université du Massachusetts. « La pyréthrine et les pyréthrinoïdes visent la même cible dans le système nerveux des insectes que le DDT, utilisé à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour tuer les poux de corps. Les insectes porteurs de la mutation résistants au DDT ont alors été sélectionnés. Comme on a cessé l’usage du DDT vers les années 1960, la résistance des poux a diminué. Mais quand de nouveaux produits sont apparus, ces poux mutants sont revenus en force, ce qui explique le développement de la résistance observée aujourd’hui. »
Selon M. Clark, l’usage inadéquat de ces produits en vente libre a contribué au problème de résistance. « Plusieurs consommateurs n’ont probablement pas respecté les instructions des manufacturiers et utilisé une bouteille d’insecticide pour traiter trois enfants au lieu d’un seul, comme cela est prescrit. Le produit n’exerçant pas alors sa pleine puissance, cela a permis aux insectes plus résistants de se reproduire », fait-il remarquer.
Aujourd’hui, seulement un tiers des consommateurs disent parvenir à contrôler les poux de tête avec ces insecticides, au départ très efficaces. « Chaque nouvelle étude nous apprend qu’ils le sont de moins en moins », indique M. Clark, dont l’équipe a recueilli des échantillons de poux chez 121 individus de 14 villes de la Colombie-Britannique, de l’Ontario et du Québec, et auprès de 115 sujets de 12 États américains. Dans la plupart de ces villes, les poux mutants avaient supplanté la génération encore sensible aux insecticides. Seules certaines régions rurales, dont une réserve navajo de l’Arizona (où on avait peu recours à ces composés), présentaient des épidémies de poux moindres. Les chercheurs ont également observé la présence de poux encore sensibles aux pyréthrinoïdes à Sudbury, à Oakville et à Toronto Centre.
Combattre les mutants
Il faut trouver de nouvelles approches thérapeutiques, insistent les auteurs. Mais lesquelles ? Trois nouveaux insecticides qui s’avèrent efficaces sont apparus sur le marché états-unien ces derniers mois, affirme M. Clark. « Leur mécanisme d’action est différent de celui du DDT et des pyréthrinoïdes. L’ingrédient actif de l’un d’eux, dénommé Sklice, est l’ivermectine. Un autre, appelé Natroba, contient le spinosad, qui vise les récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine. Inoffensifs pour l’humain, ces deux composés sont mortels pour les insectes. Déjà utilisés en agriculture, ces différents insecticides ont simplement été reformulés pour une application topique », précise le scientifique. Plusieurs contiennent aussi des molécules de silicone qui étouffent l’insecte en bloquant sa trachée, l’empêchant d’inspirer de l’oxygène.
En Argentine et au Brésil, où les produits à base de pyréthrine ou de perméthrine
sont devenus inutiles, on se tourne désormais vers « les huiles essentielles extraites de différentes plantes, dont certaines contiennent des terpènes qui s’avèrent très efficaces. Ces substances volatiles n’ont souvent pas fait l’objet d’un bon contrôle de la qualité, rendant leur efficacité et leur durée de vie variables. »
Sinon, il reste le peigne fin, « très efficace pour enlever les poux s’il est fait par une personne diligente et expérimentée, dit le spécialiste. Mais pas très rapide. Un autre procédé consiste à souffler de l’air chaud sur les poux pour les dessécher, mais cela requiert un peu plus de savoir-faire que d’appliquer une lotion. »