Les projets d’optimisation: souvent des causes de mauvais financement

Benoit Rose Collaboration spéciale
Les projets d’optimisation du réseau de la santé s’avèrent souvent à la fois coûteux et inappropriés. « Une infirmière, par exemple, doit maintenant d’abord traiter un nombre prédéterminé de clients, et non pas nécessairement fournir les soins adéquats aux patients sous sa responsabilité », explique le chercheur Philippe Hurteau.
Photo: Source Hôpital Hôtel-Dieu Les projets d’optimisation du réseau de la santé s’avèrent souvent à la fois coûteux et inappropriés. « Une infirmière, par exemple, doit maintenant d’abord traiter un nombre prédéterminé de clients, et non pas nécessairement fournir les soins adéquats aux patients sous sa responsabilité », explique le chercheur Philippe Hurteau.

Ce texte fait partie du cahier spécial Santé - Réseau

Sous la gouverne aux sensibilités néolibérales du Parti libéral de Jean Charest, de 2003 à 2012, nos établissements de santé ont été contraints de composer avec d’importantes coupes budgétaires. À partir des orientations de Québec, des Centres de santé et des services sociaux (CSSS) ont choisi de faire affaire avec des firmes privées offrant des projets d’optimisation, dans le but d’améliorer leur productivité. Or certains observateurs constatent que ces projets nuisent à la qualité des services, sans même être économiques.

 

Selon le sociologue Gilles Gagné, professeur à l’Université Laval, il existe actuellement une importante fuite de fonds publics « qui repose sur la croyance que le secteur public souffre d’un manque global d’efficacité et de productivité par rapport au secteur privé ». C’est dans cet esprit que les projets d’optimisation des soins de santé sont censés venir à la rescousse du secteur public en proposant des méthodes d’évaluation qui sont généralement appliquées dans le secteur privé et qui reposent sur des critères financiers et quantitatifs.

 

Philippe Hurteau, chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), parle pour sa part d’une « nouvelle gestion publique » amenée par le néolibéralisme. Selon lui, « derrière les critiques à l’endroit de l’inefficacité présumée des instances étatiques se cache en fait la volonté de brouiller toute forme de distinction entre ce qui relève du secteur public et du secteur privé. Toute organisation, qu’il s’agisse d’un hôpital ou d’une usine, [devrait] s’organiser suivant le même modèle, le même principe, le même calcul de type coûts-bénéfices, tout en […] se soumettant à des objectifs quantifiables devant être atteints. »

 

Or un CSSS n’est pas tout à fait une usine, et les projets d’optimisation s’avèrent souvent à la fois coûteux et inappropriés. « Une infirmière, par exemple, doit maintenant d’abord traiter un nombre prédéterminé de clients, et non pas nécessairement fournir les soins adéquats aux patients sous sa responsabilité », ajoute le chercheur dans une capsule vidéo de l’IRIS. Des propos auxquels acquiesce l’infirmière Nadine Lambert, vice-présidente responsable du personnel en soins infirmiers et cardiorespiratoires à la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) : « On regarde davantage de patients, mais le travail est réduit à sa plus simple expression. »

 

Détérioration des services

 

Responsable de l’organisation du travail à la FSSS-CSN, Mme Lambert constate que l’optimisation, telle que considérée par des entreprises comme Proaction, Bell Nordic et Grant Thornton, contribue en effet à détériorer la qualité des soins. Selon elle, les indicateurs utilisés pour évaluer le rendement en des termes quantitatifs ne tiennent pas compte, par exemple, d’un éventuel retour à l’urgence d’un patient mal en point dont les soins auraient été insuffisants. « Pour nous, ce sont de faux indicateurs et une fausse réussite lorsqu’on nous dit qu’on performe avec nos projets d’optimisation », affirme-t-elle.

 

À la FSSS-CSN, des infirmières, des préposés aux bénéficiaires, des assistantes en soins de santé et des travailleurs des services sociaux ont fait résonner les premières sonnettes d’alarme, pour déplorer l’impact des nouvelles façons de faire sur les patients. « En CHSLD, par exemple, maintenant, au lieu d’avoir un service de repas au cours duquel on va faire manger une ou deux personnes, on met les gens âgés en ligne, un peu comme à la garderie, et la personne chargée de l’aide à l’alimentation va leur donner la cuillerée à tour de rôle. C’est mignon avec les enfants d’un an, mais pas à 80 ans. Ils n’ont pas à être traités de cette façon. C’est de l’alimentation à la chaîne. »

 

De nombreux exemples de situations inappropriées ont été signalés au syndicat, et évidemment ce sont aussi les conditions et le climat de travail qui se dégradent dans tout ça. « On met le personnel en concurrence et ça dégénère en conflits, affirme Mme Lambert. Et cela a un coût : les employés tombent malades parce qu’ils n’en peuvent plus. Les professionnels ont un code de déontologie, mais on leur impose des pressions et ils sont obligés de trouver toutes sortes de solutions de rechange pour être en mesure de répondre à leurs obligations professionnelles, qui, pour les firmes privées, semblent être de moindre importance. Et la hausse des absences pour cause de maladie et d’accident de travail ne se retrouve pas dans leurs indicateurs. »

 

Mauvais financement

 

Le printemps dernier, Françoise David, députée de Québec solidaire, a déposé à l’Assemblée nationale une pétition demandant un moratoire sur ces projets d’optimisation. « Le gouvernement ne peut laisser la situation se détériorer davantage », plaidait-elle dans un communiqué émis le 4 juin 2013, ajoutant que « c’est faire preuve d’une bien douteuse compréhension des soins de santé que d’obliger le personnel à restreindre le temps consacré aux services à la population, en misant avant tout sur une performance purement quantitative ». On pense au strict minutage des soins à domicile et au temps pris désormais par les intervenants pour remplir la documentation visant à évaluer leurs performances.

 

Lancée par l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), cette pétition, comptant près de 2500 signatures, demandait également au gouvernement de réaliser une enquête sur le processus d’attribution des contrats accordés à Proaction, qui a obtenu des contrats d’une valeur de 15 millions de dollars de la part du réseau public des soins de santé, souvent sans appel d’offres. « À même le financement public, ajoute Mme Lambert, Proaction s’est fabriqué un programme informatique, un outil plein de lacunes, qu’elle essaie maintenant de transposer d’un CSSS à l’autre et qu’elle va bien finir par vendre. C’est aberrant. »

 

Selon l’IRIS, « la nouvelle gestion publique, loin de diminuer la place de la bureaucratie dans notre vie, tend plutôt à l’augmenter. Au final, les services publics soumis à cette gestion, en plus de se détourner de leur mission fondamentale, en viennent collectivement à nous coûter plus cher. » Bref, du mauvais financement découlant de certaines orientations politiques et économiques remises en question. « Nous, on demande que le financement des établissements de santé soit revu, de dire Mme Lambert. Et il faut regarder, avec les travailleurs concernés, de quelle façon on peut améliorer les choses, et non leur imposer des façons de faire qui vont les démolir et qui ne serviront pas aux clients. »

 


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Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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