Mastectomie préventive - L’exemple Jolie

Angelina Jolie
Photo: Agence France-Presse (photo) Leon Neal Angelina Jolie

Les principaux spécialistes du cancer du sein du Québec saluent la démarche d’Angelina Jolie qui a révélé publiquement qu’elle venait de subir une ablation préventive des deux seins. Sa confidence aidera, espèrent-ils, à lever le tabou entourant cette intervention qui vise de plein fouet la féminité des patientes. Tous soulignent par ailleurs qu’opter pour cette chirurgie est un choix tout à fait personnel qui doit avoir été bien mûri.


Rappelons d’abord que la mastectomie préventive n’est proposée qu’aux femmes porteuses d’une mutation dans le gène BRCA1 ou le gène BRCA2. Environ 2,5 % de la population québécoise est porteuse d’une telle mutation. Et les mutations affectant l’un ou l’autre de ces gènes ne sont responsables que de 5 à 10 % de tous les cas de cancers du sein et de l’ovaire.


Parmi les critères qui permettent de reconnaître les personnes qui sont porteuses d’une mutation sur BRCA1 ou BRCA2 figurent d’abord la présence de proches parents (soeur, mère, grand-mère), autant du côté maternel que paternel, qui ont souffert ou succombé à un cancer du sein avant l’âge de 50 ans. « Les hommes peuvent aussi être porteurs d’une mutation dans les gènes BRCA1 ou BRCA2 et la transmettre à leurs enfants », souligne la Dre Provencher, gynécologue-oncologue au CHUM. L’occurrence d’un cancer du sein chez un homme ou d’un cancer de l’ovaire chez une femme de la famille accroît aussi la probabilité d’une mutation. « Quand une personne répond à certains de ces critères, on lui propose de passer le test génétique [qui permettra de confirmer ou d’infirmer si elle est porteuse d’une mutation] qui s’effectue par une simple prise de sang. Mais cela demeure une décision personnelle. Certaines patientes refusent, car elles ne pourraient pas vivre en sachant qu’elles ont la mutation. Elles demandent toutefois d’être suivies comme si elles avaient la mutation », explique la Dre Provencher.


Les études ont montré que les personnes porteuses d’une mutation BRCA1 ou BRCA2 courent un risque d’environ 60 % de développer un cancer du sein et un risque allant de 40 à 50 % de souffrir d’un cancer de l’ovaire. Certains individus porteurs d’une mutation au niveau des gènes BRCA1 ou BRCA2, comme Angelina Jolie, peuvent aussi présenter des défauts dans d’autres régions du génome dont on a récemment découvert qu’elles accroissaient la prédisposition au cancer du sein. C’est pourquoi l’actrice affirme que son risque de cancer du sein s’élevait à 87 %.

Quatre stratégies


Quatre stratégies sont proposées aux femmes qui sont porteuses d’une mutation BRCA1 ou BRCA2. La première consiste en un suivi plus serré comprenant chaque année un examen clinique et par résonance magnétique des seins, ainsi qu’une mammographie, de même qu’une échographie pelvienne de l’abdomen dans le but de dépister un cancer de l’ovaire. « Cette surveillance étroite ne prévient rien, mais peut permettre de dépister un cancer plus rapidement », fait remarquer le Dr André Robidoux du CHUM. La Dre Provencher ajoute que chacun de ces examens est source de stress pour la femme. « À la moindre petite tache suspectée, le radiologiste rappellera les patientes pour procéder à d’autres tests, voire à une biopsie. Imaginez le stress que vivent ces patientes ! »


Les femmes qui désirent être plus proactives peuvent opter pour une médication préventive au tamoxifène qui peut diminuer de 50 % le risque de cancer du sein. Mais ce médicament peut induire des effets indésirables, tels que des phlébites, des embolies et des cancers de l’utérus, précise la Dre Jocelyne Chiquette, qui coordonne le programme de dépistage dans la région de la Capitale-Nationale.


Dans les pays industrialisés, la moitié des femmes qui sont porteuses d’une mutation BRCA1 ou BRCA2 optent pour l’ablation des ovaires et des trompes de Fallope - qui est une chirurgie moins invasive que la mastectomie - car les méthodes de surveillance (prise de sang et échographie de l’abdomen) sont inefficaces à détecter ce cancer, lequel se répand très rapidement dans l’abdomen et est associé à un faible taux de survie. Cette intervention qui permet aussi de diminuer de 50 % le risque de cancer du sein entraîne toutefois une ménopause immédiate, dont les symptômes peuvent s’avérer particulièrement indésirables chez une jeune femme. C’est pourquoi on la pratique surtout chez les femmes qui ont eu leurs enfants et qui arrivent à la ménopause.


L’ablation préventive des seins permet quant à elle de réduire de plus de 95 % le risque de cancer du sein. « Cette intervention s’accompagne d’une reconstruction mammaire immédiate. De plus en plus, les méthodes utilisées permettent de préserver l’enveloppe cutanée et même les mamelons afin d’obtenir de meilleurs résultats esthétiques, précise le Dr Robidoux. L’ablation d’organes sains à des fins de prévention de cancer n’est pas nouvelle. On la pratique depuis longtemps pour le cancer de la thyroïde et le cancer du côlon. Pour le cancer du sein entrent en jeu d’autres dimensions, telles que la féminité, l’image corporelle et l’érotisation », qui contribuent à rebuter certaines femmes. Comme toute autre intervention chirurgicale, les personnes qui subissent une mastectomie peuvent être victimes de complications opératoires, pouvant prendre la forme d’un hématome ou d’une infection au site opératoire, voire d’un rejet de la prothèse.


La Dre Provencher insiste sur le fait qu’une patiente ne doit opter pour la mastectomie qu’après discussion avec des spécialistes et mûre réflexion.


« C’est une bonne décision d’opter pour la mastectomie préventive, mais il faut être prête et ça ne convient pas à toutes les femmes. Il s’agit d’un choix personnel. Deux soeurs peuvent prendre des décisions différentes parce que leur vie est différente, leur conjoint est différent, leurs croyances sont différentes, affirme la Dre Chiquette. Ce sont souvent des femmes qui ont des enfants qui vont opter pour cette solution parce qu’elles ont vu leur soeur ou leur cousine mourir en laissant de jeunes enfants. C’est un peu ce qui a motivé Mme Jolie. ». Dans le New York Times, Angelina Jolie affirmait en effet qu’elle pouvait maintenant dire à ses enfants qu’ils n’ont plus à craindre de perdre leur mère à cause d’un cancer du sein. « Le généreux témoignage de Mme Jolie permet de voir que l’on reste une femme après une mastectomie. Il est une opération d’éducation populaire extraordinaire », souligne-t-elle.


L’équipe de la Dre Chiquette a mené auprès de femmes qui avaient subi une mastectomie. « Malgré le fait que cette chirurgie laisse des cicatrices et une perte de sensibilité du mamelon et de l’aréole, les femmes étaient généralement satisfaites », résume-t-elle.


Selon la Dre Provencher, la sortie d’Angelina Jolie permettra aux femmes qui choisissent la mastectomie « de sortir de l’isolement, de ne pas subir l’ostracisme et de relever la tête, car plusieurs patientes affirment qu’elles ne se déshabillent jamais devant leur mari ». Pour Jacques Simard, spécialiste de la génétique du cancer du sein au Centre de recherche du CHU de Québec, la déclaration de l’actrice est « davantage une sensibilisation qu’une promotion de la mastectomie préventive ». « Elle a été très courageuse d’expliquer publiquement son choix personnel », déclare-t-il.


William Foulkes, spécialiste de la génétique du cancer à l’Université McGill se serait attendu à une autre attitude de la part d’une célébrité comme Angelina Jolie. « J’aurais plutôt imaginé qu’elle aurait demandé une injonction pour empêcher les paparazzi de s’introduire dans sa vie privée. Comme elle est très belle, sa déclaration a d’autant plus d’impact. Son témoignage aidera à ce que la mastectomie soit moins considérée comme bizarre et qu’elle soit normalisée », dit-il.


Au Québec, le test génétique - chez les femmes particulièrement à risque -, la mastectomie et l’ovariectomie préventives, de même que la reconstruction mammaire sont entièrement couverts par l’Assurance maladie du Québec.

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