Soins de santé: le privé gagne du terrain

Les familles québécoises dépensent plus que la moyenne canadienne en soins privés, soit 1690 dollars par an. C’est près de 6 % des ménages qui doivent y consacrer plus de 10 % de leurs revenus après impôt.
Photo: - Le Devoir Les familles québécoises dépensent plus que la moyenne canadienne en soins privés, soit 1690 dollars par an. C’est près de 6 % des ménages qui doivent y consacrer plus de 10 % de leurs revenus après impôt.

Chaque famille québécoise consacre presque 1700 $ par an à des soins de santé privés. Galopant souvent plus vite que l’inflation, cette croissance est deux fois plus rapide depuis 1998. Davantage de ménages consacrent plus de 10 % de leur budget aux soins de santé privés.

« Si on continue dans cette direction, les coûts seront de plus en plus lourds pour les patients. Certains n’auront pas accès à des soins ou à leurs médicaments, et vont se retrouver à l’hôpital… augmentant les coûts publics », avertit Michael Law.


Il est chercheur au Centre for Health Services and Policy Research à l’Université de Colombie-Britannique. Pour arriver à ces conclusions, il a utilisé les réponses de plus de 163 000 personnes à l’Enquête sur les dépenses de ménages de Santé Canada entre 1998 et 2009. Les résultats seront publiés dans le journal scientifique Health Policy et sont disponibles en ligne.


À la demande du Devoir, Michael Law a extrait les données du Québec. On découvre que les familles québécoises dépensent plus que la moyenne canadienne en soins privés, soit 1690 dollars par an. C’est près de 6 % des ménages qui doivent y consacrer plus de 10 % de leurs revenus après impôt.


« Si on avait à penser à un système de santé efficace, on ne l’imaginerait certainement pas ainsi », déploreM. Law.


Depuis 1998, les coûts des soins de santé privés ont augmenté de 2,8 % par an au Canada. Un rythme qui s’accélère : dans les années 80 et 90, la croissance était plutôt de 1,3 % par an.


De plus en plus de Canadiens monopolisent une grande proportion de leurs revenus en soins. Ils étaient moins de 4 % en 1998 à y consacrer plus de 10 % de leur budget : en 2009, ils sont 5,2 %, soit presque 1,5 million de personnes. Même que 0,7 % des famillesdoivent réserver 25 % ou plus de leurs revenus pour des soins de santé.

 

Médicaments et assurances privées


Quand on décortique la facture, on observe que les primes d’assurances privées y occupent une place prépondérante, à 452 $ par an par ménage. Suivent les soins dentaires (373 $) et les médicaments (320 $).


Quand on exclut les ménages qui n’ont pas engagé de dépenses privées, on constate que les primes d’assurance maladie privées coûtent en moyenne 1175 $ par famille, pour les quelque 40 % qui y ont accès. Une croissance de 44 % de la facture en dix ans.


Les soins oculaires croissent plus raisonnablement (1,2 % par an) que les soins dentaires (2,4 % par an) et les médicaments (2,3 %).


Les soins hospitaliers et les médecins sont encore largement payés par le public, mais presque 6 % de l’échantillon avait payé pour un médecin et 2 % pour une hospitalisation ou des soins en maison d’hébergement. Cette proportion est stable depuis 1998, mais les coûts, eux, sont loin de l’être. Il en coûtait 75 % plus cher en 2009 pour des honoraires privés de médecin et 144 % de plus pour une hospitalisation ou de l’hébergement que dix ans auparavant.


Une personne sur cinq a recours à d’autres professionnels de la santé au privé, comme des psychologues ou des physiothérapeutes, et y consacre en moyenne 490 $.


Pour Michael Law, outre les primes d’assurances, les médicaments sont un moteur important de la progression des dépenses : on en consomme de plus en plus, et les nouvelles molécules sont aussi plus chères.


Guillaume Hébert, de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), juge que la croissance des primesd’assurance est « insoutenable » pour bien des familles. « Et la tendance est de réduire le panier de services », ajoute-t-il.


Selon l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS), 75 % des dépenses en santé étaient assumées par le public au Canada en 1975. Depuis 1997, toujours selon l’ICIS, ce taux oscille autour de 70 %.


Une tendance lourde


Pour le chercheur à l’Institut de recherche en santé publique de l’Université de Montréal Damien Contandriopoulos, ces données sont une pierre de plus à l’édifice : « Ça commence à faire beaucoup de sources qui pointent dans la même direction. Le système public que nous imaginons avoir est une image mentale erronée. Nous nous rapprochons davantage des États-Unis que de la Suède. » Comme les personnes interrogées devaient présenter des factures des soins reçus dans l’enquête sur laquelle se base Michael Law, M. Contandriopoulos croit que ces données sous-estiment même les dépenses réelles.


« Plus on est pauvre, plus il y a de chances que notre contribution à des soins privés croisse rapidement », souligne également le professeur à l’Université de Carleton Marc-André Gagnon. « Et là, la dynamique qui s’installe, c’est que des gens ne se soignent pas, et ça se répercute ensuite en hospitalisations. » Et la spirale des coûts se poursuit…


Si, au Québec, la proportion de familles devant consacrer plus du dixième de leurs revenus aux soins est plus faible qu’en Colombie-Britannique, il estime qu’on peut en partie attribuer cela au régime public d’assurance médicaments.

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