Repenser la naissance

Après s’être demandé comment « mourir dans la dignité », si on posait notre regard sur la naissance ? Cette suggestion de la sage-femme Isabelle Brabant trouve des échos dans un important rapport signé par le gynécologue Jean-Marie Moutquin et embrassé par des professionnels de la santé de tous les horizons.
« C’est comme si la naissance était une zone aveugle », observe Isabelle Brabant, les coudes posés sur la table d’examen dans son minuscule bureau où une grande fenêtre crée une ouverture. Nous sommes à la Maison bleue, dans Côte-des-Neiges, un organisme sans but lucratif qui soutient les femmes enceintes vulnérables et les familles. Parmi ses patientes enceintes, souvent fragiles, plusieurs arrivent de zones de conflit : à l’échelle de leur pays, de leur famille, de leur vie, de leur ventre.
Celle qui vient de lancer la troisième édition de son livre Pour une naissance heureuse établit un rapprochement entre la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité et la nécessaire réflexion autour de la naissance. L’idée d’une conversation nationale lui semble mûre.
« Chaque femme vit ce qu’elle a à vivre », poursuit-elle, toujours respectueuse des choix de chacune. Elle nous invite à prendre du recul, collectivement. « J’ai trouvé intéressant qu’on s’intéresse, comme société, à comment on vit la mort. Mais pour les exactes mêmes raisons, comment la naissance se passe a un impact sur la société et vice-versa. »
Et comment vit-on la naissance, exactement ? « Entourés de machines ! », lance la sage-femme. D’avril 2011 à mars 2012, 2315 bébés sont nés en maison de naissance, soit 2,6 % des 88 500 naissances dans la même période. Environ 10 % des accouchements se déroulent de façon dite « physiologique », sans intervention pharmacologique ou césarienne. La demande pour les sages-femmes dépasse l’offre : il n’y en avait que 166 en exercice au 31 mars 2012.
Si elle pose un regard anthropologique sur la naissance, son livre, c’est sa réponse à la littérature infantilisante offerte à ce rayon. Pour Isabelle Brabant, il s’agit de « recréer des images de la naissance où les femmes ne sont pas passives, couchées sur le dos, à attendre que la péridurale vienne les sauver. C’est de mettre en circulation d’autres pensées. Et chacune va piger là-dedans ce qui lui parle. »
Et là, arrêt sur image : elle ne cherche pas à « diaboliser » la médecine. Ni à imposer la pensée unique de l’accouchement physiologique pour toutes - « ce n’est pas une secte ! », lance-t-elle. Ni à montrer du doigt les femmes qui bénissent la péridurale. Elle s’adresse à une femme qu’elle présume « intelligente et mature » qui a le droit de choisir. Car, rappelle-t-elle, « une femme qui veut une péridurale et qui n’a aucun problème avec l’idée d’une césarienne va trouver ça aisément dans le système de santé. Mais celle qui se dit, avec son partenaire, qu’elle aimerait découvrir sa capacité de femme à mettre son enfant au monde, eh bien, elle ne va pas trouver aisément les outils pour y arriver. »
Un sujet mûr
Cet automne, un rapport de l’INESSS signé par le gynécologue et chercheur Jean-Marie Moutquin a suscité un grand engouement dans le petit monde de la périnatalité. Il rame dans la même direction que le livre d’Isabelle Brabant.
Plusieurs centaines de pages de données scientifiques à l’appui, l’INESSS recommande que le ministère de la Santé (MSSS) organise une opération de « concertation » pour en arriver à un plan d’action pour la réduction des interventions pendant l’accouchement. Le MSSS accueille ce rapport « favorablement » et en est encore à l’étape de la réflexion.
« Réduire » suppose « qu’un certain nombre » d’interventions « n’améliore pas la santé et peut même être délétère pour le bien-être des mères et des nouveau-nés », admet d’emblée le rapport de l’INESSS. En effet, les taux d’intervention actuels « ne sont associés ni à l’amélioration de la santé des mères et des nouveau-nés, ni au choix des mères, mais à l’autorégulation de l’obstétrique médicohospitalière », écrivent le Dr Moutquin et son équipe.
Pour Isabelle Brabant, des études scientifiques et « 200 000 ans de données probantes » commencent à converger : « C’est drôle à dire, mais ce qui est meilleur pour la santé, c’est le processus physiologique tel qu’il est prévu dans la nature ! », dit-elle en rigolant.
Le rapport de l’INESSS connaît un succès qui a carrément fait « sauter » les serveurs informatiques lors d’un webinaire avec les professionnels de la santé. « Je n’avais jamais vu ça, plus de 200 inscriptions ! raconte le Dr Moutquin, également professeur à la Faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke. Les gens m’en reparlent ; le sujet est très actuel, il s’inscrit dans un courant de pensée promu par beaucoup de femmes et aussi des intervenants en périnatalité : on veut être plus à l’écoute et moins interventionnistes ! »
Accompagnement individuel par une infirmière expérimentée pendant le travail, chambres de naissance adaptées, soutien, information : pour le Dr Moutquin, non seulement la science montre que c’est ce qui est souhaitable, mais c’est aussi « du vécu » pour celui qui, il n’y a pas si longtemps, assistait 400 accouchements par année. « Il ne faut pas oublier que 18 % des femmes vivent des complications après une césarienne, rappelle-t-il. On ne dit pas de ramener le taux de césariennes à 10 %, mais un accouchement sur trois ou sur quatre, c’est trop. »
Les hôpitaux pourraient s’inspirer des maisons de naissance, selon lui. Et laisser plus de place aux sages-femmes et aux infirmières.
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La naissance au Québec
Analgésie péridurale : 69 %
Surveillance foetale en continu : 65 %
Déclenchement pharmacologique : 30 %
Césariennes : 23 %
Aucune analgésie : 10 %
Source : INESSS