Sucré, donc toxique?

Tout comme l’alcool et le tabac, le sucre est «omniprésent, toxique, peut être consommé de manière abusive et a un impact négatif sur la société», ce qui devrait inciter les autorités à légiférer comme elles l’ont fait pour la cigarette, estime Robert Lustig.
Photo: Agence Reuters Tim Wimborne Tout comme l’alcool et le tabac, le sucre est «omniprésent, toxique, peut être consommé de manière abusive et a un impact négatif sur la société», ce qui devrait inciter les autorités à légiférer comme elles l’ont fait pour la cigarette, estime Robert Lustig.

Le sucre est toxique et devrait faire l'objet de lois restrictives, à l'instar du tabac et de l'alcool. Cette semaine, ce coup de gueule du scientifique américain Robert Lustig a fait le tour du monde après sa publication dans la revue Nature. Le sucre est-il le poison que le spécialiste de l'obésité infantile à l'Université de Californie dénonce avec tant de conviction et de passion?

La guerre de Robert Lustig contre le sucre ne date pas d'hier, non plus que ses prises de position controversées. Mise en ligne en juillet 2009 sur YouTube, sa conférence Sugar: the bitter truth a été visionnée près de deux millions de fois. Répétons: deux millions de visionnements pour une conférence d'une heure trente donnée par un scientifique à cravate, pas un clip de Lady Gaga en tenue légère. Les arguments de l'homme soulèvent l'intérêt, mais dans la communauté scientifique, on l'accuse souvent de mener une croisade sensationnaliste à coup d'arguments qui ne sont pas validés par la science.

«Il met toute la faute sur le sucre depuis longtemps. Il veut brasser la cage un peu, croit la directrice du département de nutrition de l'Université de Montréal, Marielle Ledoux, car c'est l'excès qui est problématique. Comme pour l'alcool.»

Le sucre est une «toxine», un «poison», déclare Robert Lustig.

Dans son texte d'opinion publié dans Nature — car il ne s'agit pas d'une nouvelle étude, mais bien d'une prise de position, à l'instar des éditoriaux publiés dans Le Devoir —, il écrit que si les gouvernements se souciaient vraiment de la santé publique, «ils devraient envisager de limiter le fructose — et ses principaux véhicules, le sucre ajouté et le sirop de maïs riche en fructose — qui menacent les individus et toute la société». Tout comme l'alcool et le tabac, le sucre est «omniprésent, toxique, peut être consommé de manière abusive et a un impact négatif sur la société», ce qui devrait encourager les autorités à légiférer comme elles l'ont fait pour la cigarette.

La théorie derrière le coup de gueule

Robert Lustig en veut pour preuve les régimes riches en glucides des Japonais — le riz est essentiellement composé d'amidon. Pourtant, traditionnellement, ils sont rarement aux prises avec le diabète de type 2. Phénomène semblable chez les Inuits: un régime essentiellement composé de gras et de viande, pas de diabète. Mais depuis la contamination du Nord par la nourriture occidentale et le fast food, le diabète est devenu un grave problème dans les communautés inuites.

Qu'ont en commun ces deux régimes pourtant fort dissemblables? L'absence de fructose, répond Lustig.

Le sucre blanc tel que vous le connaissez est en réalité du sucrose: 50 % de glucose, 50 % de fructose. Le sirop de maïs riche en fructose, qu'on ajoute aux aliments transformés pour les sucrer, est un mélange composé à 55 % de fructose, 45 % de glucose (il en existe aussi une version à 90 % de fructose). Lorsque vous mangez des pâtes, du riz ou du pain, ces derniers contiennent plutôt de l'amidon, de longues chaînes moléculaires composées uniquement de glucose.

Robert Lustig croit que le fructose est responsable de l'obésité et du diabète de type 2, en gros. Certaines études scientifiques semblent confirmer cette théorie. Par exemple, des rats qu'on abreuve de sirop de maïs riche en fructose deviennent plus rapidement obèses que ceux qui boivent de l'eau sucrée au sucre de table, qui contient 10 % moins de fructose. Et ce, à nombre de calories égal.

Le fructose réduirait aussi la proportion de bon cholestérol dans le sang, ce qui favorise les maladies cardiovasculaires. En outre, il induirait la résistance à l'insuline qui mène au diabète, indiquent d'autres études.

Le sucre, essentiel

On peut très bien vivre sans jamais prendre une goutte d'alcool, mais nul ne peut se passer de sucre: c'est le moteur de notre organisme. Le glucose est la seule source d'énergie de notre cerveau. Un régime sans glucose est extrêmement dangereux, et même les diabétiques doivent en ingérer une certaine quantité chaque jour. Le fructose est naturellement présent dans les fruits. D'ailleurs, le

Dr Lustig met souvent les jus de fruit, le lait au chocolat et les boissons gazeuses dans le même panier. «Même le lait maternel est sucré! dit Marielle Ledoux. Taxer les boissons gazeuses, c'est une chose, mais le jus d'orange et le lait au chocolat, c'en est une autre!»

Reste qu'une publication dans la respectée revue Nature ressemble à un sceau d'approbation sur sa théorie. Certains se sont dits outrés. «Je suis dégoûtée que Nature publie ça», a confié au quotidien The Australian la nutritionniste de l'Université de Sydney Jennie Brand-Miller, par exemple. Certains commentaires publiés sur le site Web de Nature vont dans le même sens.

Mais parfois, pour que le message passe, il faut peut-être simplifier. «Le fond de son affaire est correct, selon Marielle Ledoux: c'est sa façon de le dire qui est peut-être agressive.»

«Il manque de nuance, poursuit-elle. Il part sur le sucre uniquement, comme si c'était la seule cause de l'obésité et de tous les maux. Mais il y a aussi le gras, le sel, le manque d'exercice. Le fond n'est pas faux, mais c'est exagéré. On dirait que ce qu'il veut, c'est réveiller les gens.»

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Les propositions de Robert Lustig pour réduire la consommation de sucre

  • Taxer les aliments transformés qui contiennent des sucres ajoutés (dont les céréales et le lait au chocolat)
  • Adopter des règlements de zonage qui entraînent une baisse du nombre de fast-foods et de dépanneurs dans les quartiers défavorisés, et encourager les épiceries et les fruiteries à s'y installer.
  • Interdire la vente de boissons sucrées aux moins de 17 ans, ou à tout le moins limiter leur vente pendant les heures scolaires et à l'école.
  • Limiter, voire interdire, la publicité télévisée pour les aliments contenant des sucres ajoutés.
  • Encourager, voire obliger, les compagnies à réduire la quantité de sucre ajoutée aux aliments.
  • Retirer le fructose de la liste des ingrédients sans danger de la Food and Drug administration (FDA).

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