Santé - Québec a dépensé 425 millions dans les agences privées

Les sommes consacrées par le réseau de la santé du Québec au recours à du personnel d'agences privées ont plus que doublé en cinq ans, s'approchant du demi-milliard de dollars en 2009-2010.

Et si les agences privées d'infirmières font souvent la manchette, des centaines de millions de dollars en fonds publics servent aussi à «louer» les services de secrétaires, d'orthophonistes et d'autres professionnels, selon des données du ministère de la Santé et des Services sociaux obtenues par La Presse canadienne.

Après avoir touché les infirmières, «la manie de se référer à des agences privées ou à des services privés s'est répandue aussi à d'autres titres d'emploi», explique Francine Lévesque, présidente de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS) de la CSN. Ce syndicat regroupe 100 000 travailleurs de la santé, en plus de 8000 infirmières.

Québec a ainsi versé plus de 230 millions en 2009-2010 aux agences privées pour les services d'infirmières et d'inhalothérapeutes, par exemple — ces métiers entrent dans la même catégorie d'emploi.

La même année, 194 millions ont servi à embaucher temporairement d'autres travailleurs pour le réseau. Ainsi, le quart de ce montant a permis de «louer» les services de personnel de bureau et de professionnels de l'administration.

«Chez le personnel de bureau, c'est assez extraordinaire, des fois, de constater qu'ils se retrouvent en pénurie de secrétaires médicales — qu'ils en trouvent dans les agences, mais ne veulent pas les embaucher dans les établissements», illustre Mme Lévesque.

Au total, pour toutes les catégories d'emploi, il s'agit d'une facture de 425 millions en 2009-2010, comparativement à 210 millions en 2005-2006. En cinq ans, Québec aura ainsi versé aux différentes agences de main-d'oeuvre indépendante dans le secteur de la santé plus de 1,5 milliard.

Les syndicats du secteur de la santé qualifient ces données d'«effarantes» et de «honteuses», plaidant que des centaines de millions de dollars en fonds publics sont ainsi gaspillés.

Mais le ministère de la Santé, lui, se veut rassurant. La «légère» hausse de la facture en 2009-2010 — atteignant 57,5 millions — a été causée par la campagne de vaccination contre la grippe H1N1, soutient Noémie Vanheuverzwijn, une porte-parole.

Une explication que Régine Laurent, présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), rejette du revers de la main comme une excuse parmi d'autres. La FIQ représente près de 60 000 membres, soit la grande majorité des professionnelles en soins infirmiers et cardiorespiratoires oeuvrant dans les établissements publics québécois.

Selon Mme Laurent, l'utilisation du personnel indépendant crée un cercle vicieux qui fait naturellement accroître les dépenses. «Quand ce monde-là arrive des agences, ce sont souvent les fidèles du réseau qui vont prendre les patients les plus lourds. Il faut en plus qu'ils leur expliquent comment ça fonctionne.»

«Ils sont un peu tannés de faire ça et de savoir en plus que cette personne-là est payée plus cher et qu'en plus, elle n'est pas obligée de faire des heures supplémentaires.»

La part des heures travaillées par la main-d'oeuvre indépendante dans le réseau a augmenté de près de 50 % en cinq ans, passant de 2,4 % à 3,4 % de 2005 à 2009.

«On trouve que les chiffres qui sont présentés sont effarants. C'est un fléau qu'on veut enrayer et, pour ça, ça prend une volonté claire, une volonté ferme. Et de notre côté, on l'a», lance Francine Lévesque, de la FSSS-CSN.

Mme Laurent croit que ce ne sont pas seulement les syndiqués de la santé qui devraient s'insurger devant ces méthodes de gestion des ressources humaines. «C'est épouvantable. Moi, comme citoyenne payant des taxes et des impôts au Québec de bonne foi, je ne comprends pas que mon gouvernement dilapide comme ça mon argent. Je ne comprends pas», dit-elle.

Selon les études menées par son syndicat, chaque heure travaillée par une infirmière indépendante peut coûter 30 % de plus qu'une heure travaillée par une employée de l'hôpital. Au ministère, on croit qu'il faut plutôt diviser ce chiffre par deux actuellement, selon les chiffres les plus récents.

Mme Laurent dénonce l'attitude du ministre de la Santé, Yves Bolduc, dans ce dossier, tout en se félicitant de lui avoir fait accepter un plan de réduction de la main-d'oeuvre indépendante.

D'ici cinq ans, les hôpitaux dont les employés sont syndiqués avec la FIQ devront diminuer de 40 % leur recours aux agences privées, en vertu de l'accord conclu l'hiver dernier entre le ministre et le syndicat.

«Ç'a été long, ç'a été long, c'est terrible», se souvient Mme Laurent. «On va voir dans les mois qui suivent à quel point le gouvernement était sérieux.»

Le ministre Yves Bolduc n'a pas rappelé La Presse canadienne.

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