Une prime à la performance versée malgré le dérapage du CHUM

Le projet de construction du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) a beau connaître de nombreuses difficultés de réalisation, dont une explosion des coûts et un report constant des travaux, le gouvernement Charest estime que le gestionnaire responsable du dossier mérite une prime au rendement de quelque 37 000 $ par année.
Photo: - Le Devoir Le projet de construction du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) a beau connaître de nombreuses difficultés de réalisation, dont une explosion des coûts et un report constant des travaux, le gouvernement Charest estime que le gestionnaire responsable du dossier mérite une prime au rendement de quelque 37 000 $ par année.

Le projet de construction du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) a beau connaître de nombreuses difficultés de réalisation, dont une explosion des coûts et un report constant des travaux, le gouvernement Charest estime que le gestionnaire responsable du dossier mérite une prime au rendement de quelque 37 000 $ par année.

Selon les résultats d'une étude de l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS) dont Le Devoir a obtenu copie et qui sera révélée aujourd'hui, le directeur exécutif du bureau de modernisation des CHU de Montréal (CHUM, CUSM et CHU Sainte-Justine), Clermont Gignac, empoche annuellement, en sus de son salaire de 255 000 $, une prime permettant de souligner sa performance comme gestionnaire.

Cette prime lui a été accordée dès sa première année en fonction. Ainsi, pour l'année 2005-2006, M. Gignac a travaillé huit mois et a reçu une prime frôlant les 37 000 $ (en dollars courants), soit 15 % de son salaire. Pendant ces quelques mois, le mandataire gouvernemental a formé son équipe (cinq personnes à l'époque) et a créé un comité d'experts autour de lui. Son mandat consiste à encadrer les trois projets de CHU de Montréal et d'en contrôler les coûts.

Or, si en 2005 les coûts de construction des trois CHU étaient estimés à 2,5 milliards, la dernière évaluation produite en décembre dernier par Québec s'établit à 2,089 milliards pour le CHUM seulement. Ce dernier montant demeure une estimation. Dans les prochains jours, les deux soumissionnaires en lice pour obtenir le contrat de partenariat public-privé (PPP) pour construire et entretenir le CHUM pour les trente prochaines années doivent déposer leur proposition financière.

L'étude de l'IRIS souligne également que le bureau du directeur exécutif, identifié comme l'unité 913 sur le plan administratif, a fait littéralement exploser les primes payées par l'Agence de la santé et des services sociaux de Montréal (ASSS) au cours des cinq dernières années. La situation demeure en croissance, les primes «atteignant presque la moitié des bonis versés en 2008-2009, alors que cette unité n'est composée que de 10 personnes, soit un maigre 16 % des cadres de l'agence», note l'IRIS.

De plus, les auteurs de l'étude soulignent que le salaire et la prime de Clermont Gignac dépassent largement la rémunération accordée au p.-d.g. de l'ASSS de Montréal, David Levine (175 000 $ plus une prime de 14 000 $). M. Levine a sous sa responsabilité 90 établissements de santé sur l'île de Montréal — hôpitaux, centres d'hébergement de soins de longue durée (CHSLD) et CLSC. De ce nombre, on compte plus d'une vingtaine d'hôpitaux, dont trois CHU.

Le gouvernement Charest a renouvelé le contrat de M. Gignac l'été dernier aux mêmes conditions qu'auparavant, a précisé hier le cabinet du ministre de la Santé. Il s'agit d'un contrat de travail renouvelable de cinq ans.

Hausse de 35 % des primes au CHUM

Toujours dans le secteur de la santé, l'IRIS souligne l'augmentation de 11 % des primes de rendement versées dans les centres hospitaliers universitaires entre 2004-2005 et 2008-2009. Les chercheurs expliquent cette situation par le cas précis du CHUM, où on note une croissance de 35 % des primes (en dollars constants) versées aux dirigeants, sur cinq ans (passant de 11 millions à 15 millions de dollars). «À titre comparatif, ce taux est de 2 % et 4 % au CHUQ [Québec] et au CHUS [Sherbrooke]», peut-on lire.

Cette différence est due, selon l'IRIS, à une hausse de 21 % du nombre de cadres dans la direction du CHUM depuis cinq ans. Il y a également plus de catégories d'employés qui bénéficient de cette forme de rémunération. Au cours de la même période, le CHUQ a vu le nombre de ses cadres augmenter de 26 %.

Outre les cas spécifiques du bureau du directeur exécutif et du CHUM, les primes de rendement sont relativement stables dans le secteur de la santé, mentionne l'IRIS.

Primes au bénéfice des hauts dirigeants

Par ailleurs, les auteurs de l'étude, intitulée Les bonis dans le secteur public québécois: coûts et conséquences, se sont attardés à cinq autres organisations publiques: Loto-Québec, Hydro-Québec, la Société des alcools du Québec, la Société de l'assurance automobile du Québec et la Commission des services juridiques.

De façon générale, la part de la masse salariale consacrée aux primes demeure stable depuis quatre ans, oscillant autour de 2,7 %. Mais il y a des exceptions: en santé, mais aussi chez Loto-Québec.

Ainsi, entre les années 2001-2002 et 2008-2009, les primes au rendement versées aux employés de Loto-Québec ont grimpé de 206 % (4,8 % à 14,8 %). En 2008-2009, les hauts dirigeants de la société d'État ont empoché une prime moyenne de 46 803 $. Il s'agit d'une hausse de 35 % par rapport à l'année précédente. Le système de prime chez Loto-Québec est déterminé par l'atteinte de 95 % des objectifs financiers. À cet égard, rappelons que, pour l'année financière 2009-2010, Loto-Québec a connu un recul de ses bénéfices nets de l'ordre de 8 %.

Selon les auteurs de l'étude, «seuls les hauts dirigeants des organisations publiques tirent des bénéfices» du système de prime. Ils n'ont constaté aucune motivation particulière liée aux primes chez la plupart des employés rencontrés. Dans les faits, les primes creusent surtout un fossé salarial entre les têtes dirigeantes et les autres employés, écrivent-ils. Selon eux, cette formule de rémunération est «un choix idéologique plus qu'une saine pratique de gestion des ressources humaines».

L'IRIS a été fondé en 2000. Il s'agit d'un institut «indépendant et progressiste» qui produit des études sur de grands enjeux de l'heure.

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