Le patient comme bras droit du médecin

Les soins sur mesure ne sont pas qu'affaire de molécules et de technologies. La médecine se conjugue aussi de plus en plus au singulier, faisant du patient l'allié des soignants. Le mouvement de fond est encore timide, mais il a récemment fait son entrée au Québec en passant... par l'université.
Vincent Dumez est en quelque sorte l'incarnation même du «patient partenaire» dont rêve l'Université de Montréal. Hémophile, et donc grand consommateur de produits sanguins, il a contracté le VIH et l'hépatite C au début des années 1980, dans la foulée du scandale du sang contaminé. «Mon quotidien est rythmé par trois maladies chroniques, ça colore forcément mon regard sur le monde médical», raconte celui qui se décrit d'abord comme un «pur produit des HEC».La mécanique complexe des établissements de santé n'a aucun secret pour ce «patient professionnel» dont l'expérience intime a servi de matière première à un mémoire de maîtrise. «Une chose que je connaissais intuitivement, mais que j'ai intellectualisée, c'est le fossé qui sépare les médecins et les patients. La séparation a toujours été franche, mais elle tend à s'accentuer», raconte Vincent Dumez.
«D'un côté, on note une forte tendance à la clientélisation et à la consommation. De l'autre, on a un monde médical qui se surspécialise au point qu'on traite moins une personne qu'une pathologie», résume celui qui a pris la tête du nouveau bureau de l'expertise patient partenaire de la Faculté de médecine de l'UdeM.
Le virage n'est pas anodin. Il est même unique au Canada. Il a pour ambition de réunir deux planètes qui, «bien qu'elles appartiennent à un même univers, ne parlent pas souvent la même langue», résume M. Dumez. Le recalibrage est audacieux et ne s'arrête pas au cabinet. Par cette approche, l'UdeM veut que le patient devienne non seulement un partenaire de soins, mais aussi un bras droit en enseignement et en recherche.
L'idée est moins de repartager les pouvoirs que de favoriser le partage des expertises, explique Vincent Dumez. «Un des gros enjeux là-dedans, c'est la reconnaissance de l'expertise des patients qui vivent leur maladie au quotidien. C'est une expertise qui n'est pas forcément reconnue dans le réseau alors que c'est pourtant un élément clé qui peut devenir à terme une vraie compétence.»
Forts de cette idée, les partenaires pourront convenir d'un plan d'intervention qui prendra en compte la dimension humaine et éminemment émotive de la maladie. «Vous savez, un bon plan d'intervention n'est pas forcément celui qui fait appel au traitement le plus efficace, mais celui qui saura être efficace tout en étant adapté au patient et à son quotidien», poursuit M. Dumez.
Cet échange est-il possible dans un contexte de pénurie comme le nôtre? «C'est sûr que, dans le cadre actuel, cela peut paraître très complexe et très énergivore. Mais en fin de compte, il y a beaucoup d'études qui sont en train de démontrer qu'à partir du moment où le processus de décision est partagé, les gains sont nombreux sur tous les plans.» Parmi ceux-là, on note moins de visites à l'urgence, moins de complications, une meilleure observance des traitements et une meilleure qualité de vie.
Les gens oublient que la grande majorité du processus de soins se réalise à l'extérieur du milieu médical, rappelle M. Dumez. «Cette partie-là est très peu et très mal assumée par le système de santé. Il faut pourtant être clair. Moi, je prends en charge 70 % de mon processus clinique. À partir du moment où, comme société, on sera prêt à assumer ça, beaucoup de choses vont changer.»
Intervenir et accompagner
À l'université, on calcule que la moitié des patients pourront devenir des partenaires. Pour les autres, il s'agira d'inclure les proches, comme cela se fait déjà en gériatrie ou en santé mentale. D'ici la fin de janvier, le comité de patients experts sera officiellement opérationnel. Certains seront appelés à devenir des partenaires d'enseignement à la faveur de la refonte du programme de premier cycle. «On a des étudiants qui sont surentraînés à traiter des pathologies. Cela en fait d'excellents intervenants, mais pas des accompagnateurs», explique le directeur du bureau facultaire.
Avec son programme revisité, la faculté espère rendre l'univers des patients plus accessible. Des expériences de ce genre ont déjà été conduites aux États-Unis, notamment à Harvard et à Yale, où les jumelages entre étudiants et patients sont devenus incontournables. «Prenons le diagnostic et l'identification des zones de douleur de l'arthrite rhumatoïde. Les étudiants ont du mal à toucher aux patients parce que la douleur est vive et difficile à localiser. Dans plusieurs centres, on a donc formé des patients pour qu'eux-mêmes forment les étudiants. Ici, on a un projet-pilote qui va débuter à Sainte-Justine avec des adolescents.»
Ce virage paraît incontournable au président de l'Association des étudiants et étudiantes en médecine de l'UdeM, Yvan Luangxay. «Il est primordial [...] que nous soyons formés pour bien communiquer avec les patients et comprendre leurs préoccupations. C'est à la base même du rôle du médecin.» Cet échange ne peut que renforcer la médecine, ajoute le doyen de la faculté, le Dr Jean Rouleau. «À plus ou moins long terme, nous avons bon espoir que ce programme contribuera à hausser la qualité des soins, mais aussi l'efficacité globale des équipes médicales et des établissements de santé.»
Le Québec est prêt pour ce genre d'approche, croit Vincent Dumez. Spécialement dans un contexte où la population vieillit, entraînant une multiplication et une complexification des maladies. «Le patient est le seul à avoir une vue d'ensemble, il a aussi une part de responsabilité à assumer. En en faisant un partenaire, un vrai, nous espérons que nous pourrons répondre à plusieurs des questionnements actuels du réseau.»