La nouvelle stratégie de Centraide met en colère des organismes communautaires

Réjean Thomas
Photo: Réjean Thomas

Le repositionnement stratégique de Centraide du Grand Montréal autour des jeunes familles ne se fera pas sans dommages collatéraux pour les plus vulnérables, ont dénoncé hier des organismes œuvrant principalement auprès des cancéreux et des sidéens. Ce désengagement se traduira, au mieux, par des réductions de services, au pire par une fermeture pour au moins un des cinq organismes communautaires sur lesquels le couperet est tombé.

Trois d'entre eux sont montés aux barricades hier pour dénoncer ces choix qu'ils jugent déconnectés de la réalité. La lutte contre la pauvreté doit se faire sur plusieurs fronts, croit la directrice générale de La Corporation Félix-Hubert d'Hérelle, Michèle Blanchard, qui presse le géant de la philanthropie au Québec de revenir sur sa décision. «Je questionne le diagnostic. Je crois qu'il est faux!»

Le Dr Réjean Thomas en a rajouté en expliquant que la perte de cette ressource serait un «drame» pour les sidéens. «C'est bien connu, la pauvreté rend malade. Mais l'inverse est aussi vrai. La maladie rend pauvre», a dit le président fondateur de la Clinique médicale L'Actuel, qui voit dans cette nouvelle orientation de Centraide le symptôme d'un mal plus profond. «Il se passe quelque chose socialement qui me préoccupe.»

Le directeur des allocations à Centraide du Grand Montréal, Claude Masse, explique que cette décision s'inscrit dans une réflexion qui a mis en lumière la primauté des jeunes clientèles à qui on veut offrir un meilleur départ afin de couper court au cycle de la pauvreté. Quatre nouveaux organismes oeuvrant en ce sens ont d'ailleurs été récemment accueillis. Ce faisant, Centraide a dû abandonner le volet santé physique, qui mobilisait environ 6 % des quelque 52 millions qu'il engrange bon an mal an depuis trois ans.

Il est tout à fait louable de vouloir combattre la pauvreté des jeunes familles, a commenté la Dre Dominique Synnott. Mais cela est aussi trop réducteur. «La pauvreté ne tombe pas du ciel. [...] Elle est rattachée à un drame. Et ce drame, parfois, c'est aussi le cancer ou le sida.» Pour l'Organisation multiressources pour les personnes atteintes de cancer au sein duquel s'active la chirurgienne, le retrait de Centraide est une réelle «catastrophe».

Amenuiser l'impact


Chez Centraide, on assure avoir tout fait pour amenuiser l'impact de ce retrait, qui survient après trois décennies d'appui, en l'échelonnant sur trois années. «Nous leur avons aussi fait suivre une lettre faisant état de la qualité de leur travail et nous leur avons offert de les soutenir dans leurs démarches auprès d'autres organisations», a affirmé M. Masse.

Mais il n'y a personne pour prendre la relève, a réagi hier la Dre Synnott. «L'Agence [de la santé et des services sociaux] n'a pas d'argent, Québec non plus. Et ne me parlez pas des Partenaires santé, il n'y a rien pour le Québec là-dedans. Moi, quand je donne de mon temps et de mes sous, je veux que ça reste ici pour les gens d'ici.»

Et le temps presse. «Pour l'APSA [Approche sécurisante des polytoxicomanes anonymes], c'est la fermeture qui guette», a dit sa coordonnatrice clinique, Caroline Fortin. Et d'autres organismes pourraient suivre, selon les informations colligées par le Regroupement intersectoriel des organismes communautaires de Montréal, qui appuie ces cinq organismes dans leur démarche.

Aucune décision n'a pourtant été prise en ce sens cette année, a assuré hier Claude Masse. Pour les années suivantes, il faudra voir. «Les demandes sont réévaluées chaque année.»

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