Prix Wilder-Penfield - Mark Wainberg donne la vie en héritage

On peut affirmer sans l'ombre d'un doute que les travaux du biologiste Mark Wainberg ont contribué à sauver des millions de vies. Ce lauréat du prix Wilder-Penfield, remis dans le cadre des Prix du Québec, est entre autres l'un des concepteurs du 3TC, l'un des médicaments les plus utilisés dans le monde pour combattre le VIH/sida.
Mark Wainberg est à plus d'un titre un personnage hors du commun, notamment comme directeur du Centre sur le sida de l'Université McGill, ainsi que pour ses prises de position courageuses. «Je me sens privilégié de faire partie de la génération de chercheurs qui est parvenue à transformer une maladie autrefois mortelle en une infection qui, à présent dans les pays du Nord, est une maladie chronique, dit-il. Les gens atteints du sida peuvent désormais espérer vivre jusqu'à 90 ans! C'est un progrès remarquable.»Hasards
Le professeur Wainberg insiste toutefois pour donner le crédit de la découverte du 3TC à Bernard Belleau. «C'est ce chimiste qui a fait la synthèse du 3TC, dit-il. Pour ma part, je possédais les capacités de vérifier en laboratoire que cette molécule avait bien une activité antivirale. C'est pourquoi je figure comme coauteur des premières publications scientifiques. Mais, comme je le répète à tout le monde, ce n'est pas moi qui ai découvert le 3TC, c'est Bernard Belleau. Bien sûr, je suis très fier du rôle que j'ai joué dans sa mise au point.»
C'est par hasard que ce chercheur est devenu l'une des autorités mondiales concernant le sida. Mark Wainberg a en fait amorcé sa carrière une quinzaine d'années avant que le virus ne se manifeste, au milieu des années 1980. «J'ai commencé ma carrière en étudiant une forme de cancer causé par un rétrovirus, donc un virus du type de celui qui cause le sida», dit-il. En 1980, il va faire un stage à l'Institut de recherche sur la santé de Washington (D. C.). Là, il travaille auprès de Robert Gallo qui, quatre années plus tard, identifiera le virus du sida. «Immédiatement, M. Gallo m'a fourni un échantillon du virus ainsi que les anticorps et tout le nécessaire pour que je puisse m'établir comme le premier chercheur au Canada à étudier le virus du sida», résume M. Wainberg.
À l'époque, personne n'imagine à quel point ce virus fera des ravages. «Par contre, il me semblait qu'il était important de l'étudier et j'ai donc établi un laboratoire consacré au sida» à l'Université McGill, situé à l'Hôpital juif de Montréal. Le chercheur est par la suite approché par la société pharmaceutique Biochem Pharma afin de tester la molécule qui deviendra ultérieurement le fameux médicament 3TC.
Mark Wainberg est en outre l'un de ceux qui ont fait ressortir la nécessité de combattre le sida à l'aide d'un cocktail de médicaments. «On s'est rendu compte que le virus du sida peut muter rapidement et ainsi développer une résistance à tout médicament, y compris le 3TC, explique-t-il. Cette découverte nous a fait comprendre la nécessité de combiner plusieurs médicaments. Ainsi, en recourant à trois médicaments à la fois, nous contrecarrons à 99% les possibilités de développement d'une résistance, parce que le virus ne peut plus muter. Or un virus qui ne mute pas ne peut pas développer une résistance.»
Combattre les injustices
Malgré un bilan scientifique remarquable, Mark Wainberg espère qu'on se souviendra de lui pour une toute autre réalisation. «Si vous me demandez ce que j'ai fait de plus important dans la vie, émet-il, je vous répondrai: l'organisation du congrès mondial sur le sida qui s'est tenu en Afrique du Sud en l'an 2000! Eh oui, parce que c'est lors de cette conférence que nous avons convaincu les politiciens du monde entier que nous ne pouvons pas vivre dans un monde où ceux qui habitent les pays riches ont accès à des médicaments qui sauvent la vie, alors que ceux qui vivent dans les pays du Sud n'y ont pas accès.»
Tout en poursuivant sa carrière de chercheur, Mark Wainberg avait en 1998 assumé la présidence de l'Association mondiale contre le sida. C'est donc à ce titre qu'il a présidé à l'organisation du congrès de l'an 2000. «À la suite de cette conférence, les pays du Sud ont eu accès aux mêmes médicaments que dans le Nord», dit-il avec satisfaction.
Sans cesse Mark Wainberg dénonce une multitude d'injustices. C'est ainsi qu'il défend la communauté gaie. «Je suis un hétérosexuel, dit-il, et le sida m'a permis de tisser des liens avec des hommes gais. Cela m'a permis de voir à quel point il s'agit d'une communauté qui enrichit énormément la société.»
«Or, récemment, en collaboration avec une collègue, j'ai publié un article dans une revue médicale canadienne en faveur du droit des hommes gais à donner du sang. Or vous ne pouvez pas imaginer le nombre de lettres et de courriels que j'ai reçus me disant que je suis fou et que les gais n'ont aucun droit de vivre! J'ai été renversé.»
«Jamais je n'hésite à exprimer mon opinion, poursuit-il. Chaque année, je publie au minimum six ou sept articles d'opinion, en anglais comme en français... et notamment dans Le Devoir.»
C'est ainsi que, à titre de Montréalais issu de la communauté anglophone, il prend fait et cause pour le français. «Je ne comprends pas pourquoi nous devons continuer d'avoir un système d'éducation en anglais au Québec, lance-t-il. Pour ma part, je favorise un seul système pour tous, le français devrait être la langue commune de tout le monde qui habite ici. Mais, bien sûr, on devrait aussi enseigner l'anglais, afin que tout le monde parle les deux langues, ce qui est une richesse.»
Selon lui, il ne fait aucun doute qu'on devrait faire tout ce qu'il faut pour préserver la langue et la culture francophones au Québec. «Franchement, je ne comprends pas pourquoi les fédéralistes n'adoptent pas une telle plate-forme, dit-il. Je trouve les débats actuels ridicules... Ça n'a pas de bon sens!»
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Collaborateur du Devoir