Médicaments - Cocktails risqués pour cancéreux âgés

Deux personnes âgées sur trois atteintes de cancer avalent chaque jour des médicaments qui tiennent davantage du cocktail nocif que de la cure.
Sur la longue liste de médicaments de ces patients du troisième âge, plusieurs pourraient interagir ou s'avérer inappropriés pour le malade, révèle une étude pilote menée à l'Hôpital général juif de Montréal. Une situation qui inquiète le directeur du Centre du cancer Segal de l'établissement, le Dr Gérald Batist.Sans être mortelles, ces interactions potentielles sont susceptibles d'exacerber les effets secondaires d'un traitement contre le cancer déjà pénible ou même d'en diminuer l'efficacité ou celle d'un autre traitement, indique le Dr Batist, qui a participé à la recherche. En plus de la «confusion mentale» qui peut s'ensuivre chez certains, souligne l'auteure principale de l'étude publiée dans la revue Drug Aging, la chercheure en soins infirmiers Martine Puts.
Sur une échelle de trois — «gérable», «préférable d'éviter» et «à éviter absolument» —, la moitié des interactions identifiées se situaient aux deux niveaux les plus préoccupants.
«C'est très inquiétant», juge le Dr Batist, qui se préoccupe de la qualité des soins. «Malgré le système mis en place, il y a des failles», constate-t-il. Au Centre Segal, par exemple, le personnel questionne chaque patient sur ses médicaments. «Mais à cet âge-là, ils ne sont pas toujours au courant», rappelle le directeur du Département d'oncologie de l'Université McGill.
Les études semblables sont peu nombreuses, mais le Dr Batist croit que des résultats similaires pourraient émerger dans différents hôpitaux de la province, que ce soit dans les cas de cancer ou ceux d'autres maladies.
Entre mars 2007 et janvier 2008, les chercheurs ont suivi 112 patients de plus de 65 ans à qui on venait tout juste d'annoncer la mauvaise nouvelle: un cancer. En plus de mener des entrevues sur un an, ils ont analysé la liste exhaustive de leurs médicaments.
«Insuffisance rénale - nécessité d'ajuster un médicament» ou encore «interaction entre les médicaments X et Y», signalait le logiciel Vigilance Santé lorsqu'il détectait un problème potentiel. Plus de 200 pharmacies et hôpitaux utilisent cet outil au Québec.
À souligner, les femmes composaient la cohorte à 70 % et plusieurs d'entre elles souffraient d'un cancer du sein. Cancers du poumon, colorectal, du système lymphatique ou des os figuraient aussi parmi les différents diagnostics. Trente-deux patients n'ont pas complété l'étude, dont certains sont décédés.
Hypertension, diabète, haut taux de cholestérol, ostéoporose... Avant même de lutter contre un cancer, la pharmacie de la plupart des patients était déjà bien garnie. Aussi, ni Martine Puts ni le Dr Batist n'ont été étonnés lorsque leur analyse a mis en relief des interactions potentielles plus que répandues. Et c'est sans compter les produits naturels, exclus de l'analyse, précise le Dr Batist.
À peine 12 % des interactions potentielles signalées impliquaient directement un médicament contre le cancer, la plupart concernant plutôt des problèmes dans le reste du cocktail pharmaceutique destinés à soulager des effets secondaires ou à contrôler une autre maladie. Le soin particulier mis à élaborer un traitement de chimiothérapie pourrait expliquer ce résultat, dit Martine Puts, puisque toute une équipe suit les patients qui débute ces traitements à haut risque.
Communication déficiente
«Le problème, c'est la communication», signale le Dr Batist. Une situation qui persistera selon lui tant que le Québec ne mettra pas en place le dossier médical électronique. En oncologie, «on prescrit des médicaments qui peuvent interagir avec ceux prescrits par un autre médecin» sans le savoir, dit-il. Des prescriptions à leur tour traitées par des pharmaciens différents à l'hôpital et à la maison. «Avec le pharmacien de l'hôpital, on essaie de ramasser toutes les informations, mais au bout du compte, on en manque.» Il en appelle à la création d'un «système capable de capter toutes les informations. Il nous manque entre autres une interface avec le pharmacien communautaire. Ce serait important que tout le monde soit branché sur le même système.»
Pour Martine Puts, le travail d'équipe entre médecins, pharmaciens et infirmières est primordial pour suivre les patients âgés et réagir rapidement en cas d'interaction médicamenteuse.
Quelques cliniques et pharmacies de la région de Québec expérimentent le dossier électronique depuis ce printemps. Depuis le lancement de l'initiative en 2006, retards, ratés technologiques et hausses de coûts jalonnent le déploiement du Dossier de santé du Québec. Chaque Québécois devait posséder un dossier électronique avant la fin de 2010, un échéancier aujourd'hui irréalisable. Les professionnels de la santé accéderaient ainsi facilement à la liste des médicaments ou aux résultats de laboratoire de leurs patients.
«Combien de personnes âgées ont vécu les effets secondaires réels de ces interactions [sur papier]?», se demande Martine Puts. Les effets indésirables de médicaments incompatibles pourraient selon elle contribuer à l'engorgement des salles d'urgence. Et quand on sait que même quand il s'agit de cancer, plusieurs patients n'observent pas strictement la posologie... justement à cause des effets secondaires.