Les forces de l'autisme
Des chercheurs de Montréal ont dévoilé un potentiel intellectuel insoupçonné chez nombre d'autistes apparemment déficients. Cette découverte ouvre la voie à de nouvelles approches éducatives.
Une nouvelle vision de l'autisme, qui considère ce comportement atypique non pas en termes de déficits, mais de capacités et de forces, fait de plus en plus d'adeptes dans la communauté scientifique. Cette nouvelle façon d'aborder l'autisme a permis notamment de révéler un potentiel intellectuel souvent insoupçonné chez des enfants qui, en apparence, semblaient atteints de déficience.Au début, le Dr Laurent Mottron, directeur de la chaire de recherche Marcel et Rolande Gosselin en neurosciences cognitives fondamentales et appliquées du spectre autistique de l'Université de Montréal, était le « one man out », se rappelle Isabelle Soulières, chercheuse et clinicienne à l'hôpital Rivière-des-Prairies. « Certains experts concédaient du bout des lèvres que les autistes étaient peut-être bons en perception, mais ils s'empressaient d'ajouter que cela résultait sûrement d'un déficit ailleurs. Or, de plus en plus de gens se rendent compte qu'il s'agit de vraies forces et qu'on pourrait en tirer profit. La vision du Dr Mottron commence à être reconnue comme un des grands modèles pour essayer de comprendre l'autisme. »
L'équipe du Dr Mottron a d'abord découvert que certains autistes muets, qui avaient été diagnostiqués comme déficients intellectuels modérés en raison de leur très faible performance au test de quotient intellectuel standard (échelles de Wechsler), atteignaient par ailleurs des résultats exceptionnels au test des matrices progressives de Raven, un autre test d'intelligence, mesurant plus particulièrement le raisonnement non verbal. Le test de Raven se compose d'épreuves qui consistent, par exemple, à trouver l'élément manquant d'une série de figures plus ou moins différentes selon le degré de complexité de l'épreuve.
Le score que ces autistes apparemment déficients décrochaient au test de Raven correspondait bien souvent à une intelligence supérieure. Et, en plus de réussir les épreuves les plus difficiles du test, les autistes parvenaient souvent à trouver la solution beaucoup plus rapidement que les personnes dites normales, ajoute Isabelle Soulières. « Plus les épreuves devenaient difficiles, plus ils avaient un avantage sur nous au niveau de leur temps de réponse », précise la neuropsychologue, qui a par la suite voulu savoir si les autistes utilisaient des zones différentes de leur cerveau pour effectuer le test. Pour ce faire, elle a soumis des autistes et des volontaires servant de contrôles au test de Raven pendant qu'ils étaient dans un scanner. L'imagerie par résonance magnétique a alors révélé que les autistes sollicitaient beaucoup plus activement les aires visuelles perceptives du lobe occipital (assurant le traitement de l'information visuelle) que les témoins. Ces derniers utilisaient quant à eux davantage les lobes frontaux où sont logées des zones permettant de tester consciemment des hypothèses.
Comme le raisonnement langagier leur pose problème, les autistes réussissent habituellement moins bien aux épreuves de QI standard qui, contrairement aux matrices de Raven, font intervenir le langage autant dans les questions que dans les réponses, poursuit le Dr Mottron, rappelant que, généralement, les personnes dites typiques obtiennent quant à elles des résultats équivalents aux deux types de test.
« Le test de Raven réussit mieux à révéler le potentiel intellectuel des autistes. En clinique, il nous permet d'évaluer les véritables capacités intellectuelles d'une personne autiste. Il permet ainsi d'ajuster nos attentes, et dans plusieurs cas de ne pas abandonner, car la personne a un potentiel qu'il faut juste trouver le moyen d'aller chercher », souligne Isabelle Soulières.
Une perception plus aiguisée
Pour les chercheurs, l'ensemble de ces résultats indique clairement que les autistes font les choses autrement. « Alors que les normaux résolvent les matrices de Raven en se parlant dans leur tête, les autistes font plutôt appel à la perception pour effectuer leur raisonnement », résume Isabelle Soulières. Ce qui fait dire au Dr Mottron que les autistes sont dotés d'une « perception intelligente ».
La perception des autistes est en effet très aiguisée. Ils ont des aptitudes supérieures en « discrimination unidimensionnelle, le plus bas niveau cortical, qui est exécutée par les aires auditive et visuelle primaires ». Ils arrivent par exemple à discriminer la hauteur sonore, une dimension qui intervient dans de nombreuses opérations cognitives auditives telles que le traitement de la musique, du langage et des bruits. Les autistes sont également meilleurs dans la détection de patrons (figures visuelles ou sonores) masqués par d'autres, qui correspond à un niveau de perception supérieur se rapprochant de l'intelligence, fait remarquer le Dr Mottron tout en précisant que les autistes arrivent à détecter plus aisément « les règles qui régissent la cooccurrence de certains éléments de ces patrons, à condition bien sûr qu'ils soient d'une suffisante régularité ». En musique notamment, ils arrivent plus facilement que nous à reconnaître un thème récurrent qui est reproduit avec certaines variations.
Les autistes possèdent aussi une aptitude particulière dans les opérations — encore plus complexes — de transposition qui consistent à reconnaître des isomorphismes (ou similitudes entre des substrats différents), comme notamment les règles structurales de la musique baroque ou de jazz.
« Un exemple de l'utilité de la détection de patrons — ou de reconnaissance de formes complexes — est la capacité pour un enfant autistique de reconnaître et d'apprendre des lettres et des chiffres très tôt, avant même un enfant normal. Si vous mettez du matériel imprimé à la disposition d'autistes, un certain nombre d'entre eux apprendra à lire deux ans avant les autres », fait remarquer le Dr Mottron.
L'équipe de l'hôpital Rivière-des-Prairies cherche à comprendre comment les autistes en milieu naturel vont être happés par un certain type d'information, en déceler les régularités et les faire fonctionner. « Notre rêve sera de partir de cette découverte pour favoriser l'apprentissage de la lecture. Car un autiste mutique qui lit, qui a accès au langage écrit, verra sa vie transformée », lance le Dr Mottron avant de parler de ces autistes qui semblent atteints d'une déficience intellectuelle prononcée, mais qui arrivent à déceler des cooccurrences de lettres et à faire la correspondance entre un texte écrit et ce qu'ils entendent lorsque quelqu'un le lit à haute voix. « Ils détectent ces régularités indépendamment du sens, contrairement aux normaux qui en sont incapables. Cette aptitude de comprendre profondément les régularités d'un code qu'on ne comprend même pas est particulière aux autistes qu'ils appliquent à la lecture lorsqu'ils sont exposés à du matériel écrit sans en connaître le sens. »
« Nous n'avons jamais prétendu que nos découvertes valent pour tous les autistes. Mais nous avons appris qu'il y a un nombre plus important qu'on ne le pensait d'autistes mutiques qui savent lire. Nous pensons que la capacité virtuelle d'apprendre à lire doit exister chez tous les autistes sans lésion cérébrale avant qu'ils apprennent le langage oral », affirme le Dr Mottron.
Cette caractéristique est, à ses yeux, très importante étant donné qu'aujourd'hui nous disposons de machines qui peuvent transcoder de l'écrit en oral. « Un autiste pourrait ainsi très bien taper un texte sur le clavier d'un ordinateur et ainsi produire un langage oral qui soit tout à fait compréhensible par son entourage », croit-il. Une communication serait ainsi enfin possible pour la personne autiste qui jusque-là était enfermée dans sa bulle.