Science - Les traumatismes de l'enfance auraient des effets génétiques permanents sur le cerveau
Si l'expérience clinique avait permis de démontrer qu'une enfance difficile pouvait avoir une incidence sur le comportement d'un adulte, des chercheurs de McGill ont décrypté le mécanisme qui altère l'ADN et influe sur le fonctionnement des gènes. Au bout du compte, leurs découvertes pourraient mener, entre autres choses, au contrôle chimique de ces modifications épigénétiques.
En étudiant des cerveaux de suicidés, des chercheurs de l'Université McGill ont fait un pas de plus dans la compréhension des effets biologiques sur le cerveau des traumatismes vécus dans l'enfance. Ils ont découvert que la présence ou l'absence de sévices à un âge précoce agit sur le fonctionnement de gènes qui auront une incidence sur le comportement de l'enfant plus tard.«Des enfants qui ont été abusés ou négligés subissent une modification de leurs gènes, et celle-ci a un impact sur la fonction du gène. Cette modification épigénétique contrôle comment le gène va fonctionner», a expliqué le psychiatre de l'Institut Douglas Gustavo Turecki, l'un des principaux chercheurs de l'étude. Tout est une question de probabilité. Si la région de l'ADN porte une marque épigénétique, les chances que le gène responsable de l'inhibition du stress soit activé sont moindres. «Un peu comme l'interrupteur dimmer [rhéostat] qui contrôle l'intensité de la lumière», a-t-il ajouté.
Ainsi, ces résultats confirment les observations déjà effectuées antérieurement sur des rats, selon lesquelles les soins maternels, par exemple le léchage, jouent un rôle significatif sur les gènes qui contrôlent la réponse au stress. Les chercheurs ont d'ailleurs «traduit» chez l'humain les conclusions de cette étude faite chez les rats. «Nous pouvons observer les mêmes régions de cerveaux que chez le rat et, surtout, nous pouvons étudier le même gène», a dit Michael Meaney, professeur aux Départements de psychiatrie et de neurochirurgie de l'Université McGill, en reconnaissant certaines limites à la comparaison. «Nous avons réussi à démontrer que la différence dans l'activité du gène, ou le marquage épigénétique, est associée à la qualité des interactions familiales.»
Pour en arriver à ces constats, les chercheurs de McGill ont étudié un échantillon de 36 cerveaux, dont 12 de suicidés ayant été victimes de mauvais traitements, 12 de suicidés n'ayant pas été victimes de mauvais traitements et 12 témoins. Ils ont découvert différentes marques épigénétiques dans les cerveaux des sujets qui avaient subi des sévices psychologiques. Ces marques agissent sur le fonctionnement de l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS), qui module la réponse au stress et peut augmenter le risque de suicide.
Biologie et psychologie
Le Dr Meaney reconnaît que ses conclusions ne plairont pas aux pédiatres et autres tenants des théories psychosociales. «Dans les établissements de santé, on établit une corrélation entre les abus, la vie familiale et la maladie, mais, du moment qu'on tente d'expliquer biologiquement ces événements sociaux, je peux comprendre que ça peut être frustrant», a reconnu Michael Meaney. «On ne nie pas que l'environnement familial a une influence, mais il y a un réel effet biologique.» S'il admet qu'il serait finalement possible d'intervenir par des moyens chimiques pour contrôler cette modification épigénétique dans le cerveau, le Dr Meaney ne croit pas que la seule solution soit le médicament. «Il faut d'abord se positionner d'un point de vue critique: est-ce que ces effets sont réversibles? Si oui, comment peut-on les renverser? Ça ne prendra pas nécessairement un médicament. Selon moi, il y a une vraie possibilité que des interventions psychothérapeutiques puissent influencer les résultats.»
Les résultats de cette étude réalisée à McGill devraient être publiés prochainement dans Nature Neuroscience.