À chaque métabolisme sa médication

Les variations génétiques peuvent se traduire par une efficacité ou une toxicité plus ou moins grande d’un médicament.
Photo: Agence Reuters Les variations génétiques peuvent se traduire par une efficacité ou une toxicité plus ou moins grande d’un médicament.

Il y a deux ans et demi, un bébé âgé de 11 jours apparemment en bonne santé est décédé chez lui. Lors de l'autopsie à l'Hôpital pour enfants malades de Toronto, les pathologistes ont mesuré des concentrations élevées de morphine dans le corps du nourrisson. Les enquêteurs ont par ailleurs noté que la mère qui allaitait son bébé recevait de la codéine pour soulager ses douleurs liées à l'épisiotomie qu'elle avait subie durant l'accouchement. Or cette maman était dotée d'un métabolisme ultra-rapide en raison de la duplication du gène synthétisant l'enzyme qui transforme la codéine en morphine.

Le recours à la pharmacogénomique dans la pratique médicale devrait permettre de prévenir ce genre de drame, voire d'optimiser les traitements médicamenteux en permettant de déterminer le médicament et le dosage appropriés au profil génétique de chaque patient, a-t-on souligné dans le cadre du congrès international La pharmacogénomique aujourd'hui, qui avait lieu cette semaine à Montréal.

«À la suite de ce cas fatal, on a réalisé que ce phénomène était à surveiller de près, car au Canada, on prescrit le Tylenol No. 3, contenant de la codéine, à près de 40 % des femmes ayant accouché, pour réduire les douleurs associées à l'épisiotomie et à la césarienne. Si certaines d'entre elles métabolisent très rapidement la codéine en morphine, qui se retrouvera dans le lait de la mère, cela affectera le bébé», a indiqué le Dr Gideon Koren, professeur de pédiatrie, pharmacologie, pharmacie et médecine génétique à l'Université de Toronto, et qui dirige le Programme national Motherisk.

Dans le cadre de ce programme, l'équipe du Dr Koren a pu suivre plusieurs mères qui avaient consommé du Tylenol No. 3 et dont le bébé avait été très malade. Qui plus est, les tests génétiques effectués chez ces mamans ont révélé que plusieurs d'entre elles étaient des «métaboliseurs ultra-rapides». «Il s'agit là d'un bon exemple illustrant la façon dont la pharmacogénétique [l'influence du profil génétique d'un individu sur la variabilité de la réponse à un médicament] peut menacer des vies», a souligné le Dr Koren.

Ce dernier se réjouit du financement que les Instituts de recherche en santé du Canada ont a accordé au Canadian Pharmacogenomics Network for Drug Safety (CPND), qui permettra de collecter des données dans 12 hôpitaux canadiens sur divers problèmes de santé d'ordre pharmacogénétique, tels que la perte d'audition ou l'insuffisance cardiaque qui surviennent chez certaines personnes subissant une chimiothérapie. Parmi les patients qui reçoivent du cisplatinum, un médicament fréquemment utilisé pour traiter diverses tumeurs cancéreuses au poumon ou à l'intestin, par exemple, certains deviennent carrément sourds, précise le Dr Koren. «Or, de fortes évidences nous indiquent qu'il existe une variation génétique qui permettrait de prédire quels individus, qui en sont porteurs, sont susceptibles de perdre l'audition après avoir été exposés à ce médicament.»

Chacun sa réaction

Les enzymes effectuant le métabolisme des médicaments sont produites par des gènes dont la séquence, voire le nombre d'exemplaires, peut varier d'individu à l'autre. Et de telles variations génétiques peuvent se traduire par une efficacité ou une toxicité plus ou moins grande du médicament.

Par ailleurs, le passage des médicaments dans l'organisme, de leur entrée à leur sortie, ne se fait pas incognito, a poursuivi le Dr Richard B. Kim, directeur du Centre for Clinical Investigation & Therapeutics à la Schulich School of medicine & dentistry de l'université de Western Ontario. Très souvent, le médicament se lie à des transporteurs protéiques qui prennent en charge le médicament à son entrée dans l'organisme et qui l'accompagnent jusqu'au foie et aux reins.

Or ces transporteurs protéiques peuvent aussi présenter des différences génétiques d'un individu à l'autre, et certaines versions génétiques peuvent empêcher le corps d'éliminer certains médicament aussi efficacement qu'il le faudrait. L'équipe du Dr Kim a notamment découvert une mutation dans la séquence génétique des transporteurs protéiques qui acheminent les statines — ces médicaments qui abaissent les niveaux sanguins de cholestérol — jusqu'au foie, laquelle mutation accroît énormément le risque de souffrir d'un très grave effet toxique se manifestant sous forme de sérieuses lésions musculaires. «Si on pouvait identifier les patients qui sont porteurs de cette variation génétique, on pourrait leur prescrire d'autres médicaments hypolipidémiants, ou du moins éviter de leur administrer des doses élevées de statines», a souligné le Dr Kim, avant d'affirmer que ces différences génétiques dans les transporteurs protéiques jouent vraisemblablement aussi un rôle dans la variabilité de l'efficacité des traitements anticancéreux qu'on observe d'un patient à l'autre.

Ces différences génétiques auraient un impact sur la quantité de médicament qui entre dans les cellules tumorales et expliqueraient la résistance de certains patients aux médicaments anticancéreux. «En se basant sur la constitution génétique du patient, on pourrait ainsi mieux prévoir la dose de médicament qu'il faut lui administrer et quels médicaments il faut éviter de lui donner», a indiqué le Dr Kim.

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