Industrie et création - Le textile a pris le tournant des tissus électroniques et intelligents
Ces dernières années, l'industrie du textile dans les pays occidentaux a souffert de la concurrence des pays émergents, capables de fabriquer des vêtements à meilleur coût. Est-ce à dire que le textile dans les pays occidentaux est mort? Au contraire, il se taille aujourd'hui un nouvel avenir.
Jean-Pierre Gallet, directeur de l'Institut textile et chimique (ITECH) de Lyon, et Ingrid Bachmann, professeure d'arts textiles à l'université Concordia, sont optimistes quant à l'avenir qui attend l'industrie textile. À partir d'approches différentes, l'une industrielle, l'autre artistique, leurs points de vue pourtant convergent. Non seulement le textile a-t-il un avenir, mais les possibilités qu'il offre font rêver. «C'est du côté du textile industriel et technique qu'il faut se tourner», avance Jean-Pierre Gallet. Et Ingrid Bachmann de rajouter: «Nous commençons à voir les possibilités qu'offre le textile électronique et intelligent.»En plus de former des ingénieurs, l'ITECH met ses chercheurs et ses laboratoires au service des entreprises régionales. «Nous faisons partie d'un pôle de compétitivité, le TECHTERA, pour technique textile Rhône-Alpes, et nous avons identifié neuf marchés industriels où le textile technique est prometteur. Cela va du transport à la santé.»
La santé dans la mire
Lors du colloque Textiles sans limite, dans le cadre des Entretiens Jacques-Cartier, Jean-Pierre Gallet viendra présenter les derniers développements, réalisés par l'ITECH et ses partenaires, dans le domaine des textiles industriels pour le milieu de la santé. Parmi les premières applications à voir le jour, il y a les textiles antibactériens que l'on utilise autour de la plaie chirurgicale en bloc opératoire. Il y a aussi les pansements dans lesquels on a intégré un principe cicatrisant pour le traitement des blessures.
«Nous sommes allés encore plus loin et nous avons pensé à la partie hôtelière de l'hôpital. Nous avons réussi à fixer par voie chimique, soit par irradiation électronique aux rayons gamma, des principes antibactériens de façon permanente sur des tissus comme le coton. Ce tissu peut servir à confectionner des draps, et le principe antibactérien est permanent et résiste au lavage. L'utilisation de ce type de draps peut aider à réduire les infections nosocomiales.»
Les techniques de tissage ainsi que l'apparition de nouveaux matériaux font en sorte qu'il est possible aujourd'hui de tisser un matériau en trois dimensions. «C'est ce que nous faisons avec les implants vasculaires. Nous arrivons à tisser, on devrait plutôt dire "tricoter", des artères que l'on peut ensuite implanter chez un patient. Et comme nous utilisons des matériaux biocompatibles, les risques de rejet sont amoindris.» L'utilité de ce textile saute aux yeux. Plus besoin de prélever un bout de veine lors d'un pontage coronarien.
Les chercheurs que représente Jean-Pierre Gallet ont aussi fait une importante incursion dans le domaine de la médecine à distance. «Nous avons conçu un t-shirt qui intègre des capteurs dans le tissu et qui permet de suivre un malade à distance. Ces capteurs permettent de connaître en tout temps les signes vitaux du patient et peuvent avertir lorsqu'il y a une chute de tension, par exemple.» Les données sont transmises à l'infirmière ou au médecin qui assure le suivi.
Les tissus intelligents
Dans ce dernier cas, il s'agit de ce que l'on nomme maintenant des tissus intelligents. Et c'est ici que se rejoignent les deux univers de Jean-Pierre Gallet et Ingrid Bachmann. «Dans le milieu des arts et de la culture, explique cette professeure en arts textiles, le textile a pris le tournant des tissus électroniques et intelligents.» Par ailleurs, l'université Concordia possède le plus important département d'arts textiles électroniques au Canada.
Comment cela fonctionne-t-il? «On intègre à des tissus ordinaires des fils conducteurs qui transmettent des courants électroniques. C'est comme si l'on faisait de la broderie avec des fils électroniques.» Cette nouvelle technologie permet d'explorer de nouveaux univers artistiques. «Par exemple, on crée des tissus qui répondent et réagissent aux frottements ou au réchauffement du corps.» On a donc confectionné une robe qui intègre des circuits électroniques menant à des capteurs et des ampoules LED. Les capteurs perçoivent les frottements, transmettent les signaux aux ampoules, qui s'allument en réaction. On peut même donner une mémoire au circuit, de sorte que la réaction s'atténue avec le temps pour être remplacée par un nouveau frottement. On imagine l'outil dans les mains d'un chorégraphe inventif...
Mais les découvertes au sein du milieu culturel n'ont pas que des applications artistiques. «Ce sont les mêmes technologies que nous utilisons qui permettent de fabriquer des tissus intelligents capables de suivre un patient à distance. Nous travaillons présentement à l'élaboration d'un clavier en textile. Ce clavier pourrait remplacer le clavier en plastique que l'on connaît, mais il pourrait aussi être intégré à un vêtement, comme une jupe, ce qui permettrait de taper tout en se déplaçant.» Les techniques de tricotage en trois dimensions, que les artistes utilisent pour fabriquer des sculptures en textiles, pourraient aussi servir pour l'élaboration de nouveaux textiles industriels. «Partout dans l'industrie, on cherche à remplacer certains matériaux, plus lourds comme l'acier, par d'autres matériaux plus légers mais aussi résistants, d'où l'intérêt pour le textile.»
Multidisciplinarité et innovation
Ingrid Bachmann est convaincue que la rencontre entre le milieu industriel et le milieu artistique ne peut être que bénéfique pour les deux. «Déjà, notre démarche en arts est de plus en plus multidisciplinaire. Et je ne vois pas pourquoi il ne serait pas profitable de rapprocher les arts et les sciences. Les artistes ont l'habitude des processus créateurs et de la recherche de solutions. Ils ont aussi l'habitude de penser hors des sentiers battus. Je crois qu'ils ont une contribution à faire qui nous rendra tous plus compétitifs.»
«Pour réussir aujourd'hui, il faut innover, souligne Jean-Pierre Gallet, de l'ITECH. Et on innove mieux en équipe, et c'est ce que l'on fait dans notre région de Rhône-Alpes. Il faut s'ouvrir aux autres et aux nouvelles idées. On a aujourd'hui des applications dans le textile que l'on aurait même pas pu imaginer il n'y a pas si longtemps de cela. Alors, qui sait? Mais ce que je sais, par contre, c'est que la renaissance de l'industrie du textile passe par les textiles industriels et intelligents.»
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Collaborateur du Devoir
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Textile sans limite: nouvelles directions en recherche et en création dans le domaine du textile, les 6 et 7 octobre, à la salle Ville-Marie du Marché Bonsecours, 350, Saint-Paul Est, dans le Vieux-Montréal.