Hépatite C: la société a intérêt à traiter rapidement les toxicomanes

Traiter rapidement l'hépatite C à l'aide d'un médicament appelé Interféron empêche le développement chronique de la maladie, qui se transformerait sinon en cirrhose ou en cancer du foie. Plus encore: des indices font croire aux scientifiques qu'on prévient ainsi les infections futures, à l'instar d'un vaccin. Voilà ce que révèle une étude du Centre de recherche du CHUM chez des utilisateurs de drogues injectables, publiée récemment dans la version électronique du Journal of Virology.
«On comprend enfin pourquoi les traitements précoces sont efficaces», se réjouit la Dre Naglaa Shoukry, chercheuse de l'Université de Montréal à l'origine de cette importante percée médicale. En effet, on ignorait comment l'Interféron combat l'hépatite C. Un traitement qu'on faisait presque à l'aveuglette, qu'on administrait... avant même de découvrir le virus, en 1989.On a développé l'Interféron contre le cancer il y a plusieurs décennies. On a remarqué peu après qu'il stabilisait l'état de patients traités pour des hépatites de cause inconnue — aucune trace de l'hépatite A ou B. Les innovatrices techniques de biologie moléculaire réussirent finalement à identifier le virus de l'hépatite C en 1989 là où les méthodes classiques avaient échoué.
Les toxicomanes sont les principales victimes de «l'assassin silencieux», dont les symptômes prennent des années à se manifester. L'Agence de santé publique du Canada estime que le virus touche 250 000 Canadiens. Parmi eux, 80 000 ignorent en être atteints, malgré un taux de reproduction incroyable d'un billion de nouveaux virus par jour. C'est pourquoi la Dre Naglaa Shoukry et sa collègue, la Dre Julie Bruneau, ont suivi étroitement des patients du Service de médecine des toxicomanies du CHUM. Elles les ont testés pour l'hépatite C tous les trois mois. Sur les huit qui ont contracté la maladie pendant ce temps, deux ont spontanément éliminé l'envahisseur. Les docteures ont offert le traitement à l'Interféron aux six autres personnes. Quatre ont accepté et trois d'entre elles sont aujourd'hui guéries.
Tout au long de l'étude, les scientifiques ont observé la réponse immunitaire des patients, la clé du mécanisme de guérison. Les deux patients qui ont résisté naturellement possédaient une immunité puissante et durable contre le virus, une armada de cellules immunitaires. Cette immunité disparaissait rapidement chez les autres, mais l'injection de l'Interféron la rétablissait. Le nerf de la guerre, explique Naglaa Shoukry, ce sont les cellules mémoires, des combattantes à la mémoire longue qui persistent même un an après le traitement, comme si le sujet avait été vacciné. Des recherches plus poussées détermineront si la protection persiste plusieurs années encore, mais les scientifiques soumettent cette hypothèse.
La scientifique d'origine égyptienne et son stagiaire postdoctoral Gamal Badr, qui a aussi participé à l'étude, sont particulièrement sensibles à l'épidémie d'hépatite C: elle atteint 25 % des Égyptiens, le pire taux au monde. Une campagne de vaccination contre le vers parasite Schistosoma haematobium, dans les années soixante-dix, aurait disséminé le virus par des aiguilles contaminées, selon le journal médical The Lancet.
Derrière ces découvertes se cache également la motivation des deux chercheuses principales à combattre un préjugé répandu: il est vain de traiter les toxicomanes contre l'hépatite C, puisqu'ils risquent de se réinfecter par leurs comportements à risque. «Il y a environ 30 toxicomanes sur 100 d'infectés à Montréal. Ça se répand très vite, car le taux de transmission est élevé, beaucoup plus que celui du VIH. On peut avoir toujours utilisé une aiguille neuve et s'infecter avec d'autre matériel», explique la Dre Julie Bruneau.
L'épidémiologiste, qui travaille au Service de médecine des toxicomanies du CHUM, estime que cette étude va motiver les médecins et les patients à soigner l'hépatite C. Les effets positifs escomptés surpassent la médecine. «Un de mes jeunes patients, qui se piquait depuis un an, a cessé la drogue après le traitement et est retourné à l'école. Il m'a dit: "Pour moi, c'était extraordinaire que quelqu'un ait voulu me soigner malgré ma toxicomanie"», raconte-t-elle. Une affirmation non scientifique, mais qu'elle compte mesurer dans une nouvelle étude sur l'impact du traitement sur la qualité de vie de ses patients.