Étude américaine - La communication entre patients et personnel soignant est dans un état critique aux urgences

Une nouvelle étude réalisée aux États-Unis révèle que non seulement 78 % des patients ne comprennent pas parfaitement les consignes et les soins qu'ils reçoivent des médecins lorsqu'ils arrivent à l'urgence, mais aussi que la majorité d'entre eux ne savent même pas qu'ils n'ont pas bien compris.

Publiés hier dans Annals of Emergency Medicine, la plus importante revue médicale dans le domaine aux États-Unis, ces résultats ont été jugés «dérangeants» par Kirsten Engel, la principale auteure de l'enquête. «Les patients qui ne parviennent pas à suivre les instructions au moment du congé de l'hôpital sont plus enclins à subir des complications», affirme la chercheuse de l'Université Northwestern à Chicago. La Dre Engel a souligné l'ampleur du défi posé par «la nature chaotique de l'environnement des urgences», ainsi que la nécessité de «minimiser les erreurs dans la transmission des informations» et de se pencher sur «de nouvelles façons d'améliorer la compréhension des patients».

L'étude a observé les comportements de 138 patients et deux soignants dans quatre catégories de compréhension: le diagnostic et la cause, les soins à l'urgence, les soins après le séjour à l'urgence et les consignes sur le retour à la maison. Plus de la moitié des patients ne comprenaient pas complètement ce qui leur avait été dit dans au moins deux de ces catégories. Plus de 34 % des problèmes de compréhension concernaient les patients qui avaient reçu des consignes «post-urgence». Sur le total des patients ayant des problèmes de compréhension, 80 % étaient persuadés d'avoir bien compris, ce qui n'était pas le cas.

Stress et énervement

Le président de l'Association des médecins urgentologues du Québec (AMUQ) déplore ce problème de communication, qu'il observe également dans les hôpitaux du Québec. «En urgence, on est dans un contexte imprévu, stressant, où il y a de la souffrance. Beaucoup de choses se passent en peu de temps et ce n'est pas un contexte qui favorise une compréhension adéquate», soutient Laurent Vanier, président de l'AMUQ. «Malheureusement, la pression est exercée sur le personnel et il arrive effectivement que des explications soient abrégées, ce que je trouve déplorable», a-t-il ajouté.

Julien Brisson, qui a «séjourné» plusieurs fois à l'urgence, l'a appris à ses dépens. Après s'être présenté à l'urgence de l'hôpital Pierre-Boucher pour un vilain choc au poignet, le jeune homme âgé de 27 ans ne comprenait pas pourquoi on l'avait renvoyé chez lui. «En arrivant à l'urgence, j'étais très énervé. On m'a dit qu'il n'y avait pas de médecin disponible pour m'opérer. Je suis rentré chez moi le poignet gros comme un ballon de basket, avec des antidouleurs pour me soulager. Je ne savais pas que j'avais le poignet cassé. Les directives n'étaient pas claires», a raconté le jeune enseignant au secondaire. Selon lui, il n'y a qu'une explication possible pour ce manque d'attention: le personnel de l'urgence était débordé.

Le Dr Vanier acquiesce. «Tout dépend de l'achalandage. Les urgentologues ont appris à travailler dans un contexte de réaction, où ils n'ont pas droit à l'erreur. Ce n'est pas le genre de contexte qui est favorable pour donner des détails aux patients», croit-il. Dans certains cas, le Dr Vanier dit fournir une feuille de renseignements au patient ou à sa famille, «à lire à tête reposée». «Le médecin doit toujours valider l'information en posant la question en retour pour voir si le patient a bien compris, note-t-il. Dans un contexte nord-américain où l'aspect médico-légal prend de plus en plus de place, les médecins devraient être de plus en plus sensibles à ça.»

Problème de «littéracie»

Si les médecins sont parfois en faute, les patients doivent reconnaître qu'ils ont leur part du blâme à porter. Dans le cadre des 11es Journées annuelles de santé publique l'an dernier, des données du Conseil canadien sur l'apprentissage (CCA) ont révélé qu'un grand nombre de personnes semblent avoir un faible niveau de littéracie en santé, soit la capacité et la volonté d'un individu de repérer et de comprendre des instructions ou des informations relatives à la santé. Ce constat, qui ne concernait pas seulement les patients qui étaient passés à l'urgence, a été fait à partir d'une enquête de l'International Adult Literacy and Skills Survey (IALSS) effectuée en 2003. On estime qu'au Canada 11,7 millions de personnes en âge de travailler, soit 55 %, ne possèdent pas le niveau minimal de littéracie en santé pour gérer efficacement leurs besoins. Si on ajoute les personnes âgées, ce nombre atteindrait 15 millions. D'après la littérature sur le sujet, un tel problème de littéracie est directement lié à l'augmentation des maladies chroniques et de la mortalité.

À voir en vidéo