Cholestérol: gare aux médicaments miracle

Les statines, ces médicaments conçus pour réduire le cholestérol dans le sang, sont-elles sur le point de tomber de leur piédestal? À lire la dernière édition du Business Week, force est d'admettre que le doute s'est insinué pour de bon dans l'esprit de la communauté scientifique nord-américaine. Celle-ci est aujourd'hui confrontée à des statistiques qui laissent croire que les bénéfices ne sont pas au rendez-vous pour tous les patients traités, loin s'en faut.
Le coup est dur pour les statines, qui caracolent en tête des palmarès des ventes dans le monde. La plus connue d'entre elles, le Lipitor, occupe même le premier rang parmi les médicaments vendus au Canada. Or ce que l'on croyait établi, soit que la réduction du taux de mauvais cholestérol reste le meilleur gage d'une bonne santé cardiaque, a récemment été remis en cause par une étude modeste menée auprès de 750 Américains par Merck et Schering-Plough.Au centre de la tempête, le Vytorin, une combinaison alliant une statine et l'Ezetrol, un médicament destiné lui aussi à réduire l'absorption du cholestérol. Comme prévu, ladite combinaison a permis de réduire le taux de mauvais cholestérol dans le sang encore mieux que ne le fait une statine seule. Mais voilà, le Vytorin a aussi causé un durcissement des artères assez important pour qu'aucun des 750 participants ne retirent de bénéfices sur le plan cardiaque, laissant planer le doute sur toute la famille des statines.
Pour le Dr James Wright, nul doute que la méfiance est de mise. Le professeur de médecine à l'Université de la Colombie-Britannique étudie depuis longtemps l'impact des statines. Au fil du temps, il a toutefois dû se rendre à l'évidence: devant les statines, les patients ne sont pas tous égaux. En entrevue ce mois-ci au Business Week, celui qui dirige aussi le groupe Therapeutics Initiative a résumé son sentiment dans une formule-choc: «La plupart des gens qui prennent [des statines] n'ont aucune chance d'en retirer des bénéfices.»
À l'entendre, seuls les patients qui prennent une statine en prévention secondaire, soit après un épisode cardiaque, en retirent des bénéfices notables. Les autres, à qui on prescrit la petite pilule en prévention primaire, donc avant même que des problèmes cardiaques ne se déclarent, n'ont pas cette chance. Certes, on note chez eux une petite réduction du nombre d'attaques, de même qu'une baisse significative de leur mauvais cholestérol. Mais, au final, le nombre de morts ou d'hospitalisations dues à des troubles cardiaques ne fléchit pas, du moins à court terme, tranche le Dr Wright.
Mesurer le risque
Dans sa publicité, Pfizer précise bien que son Lipitor — la statine la plus prescrite dans le monde — permet de réduire «de 36 % le risque de faire une attaque cardiaque», des chiffres que personne ne conteste d'ailleurs. Or il faut s'attarder aux petits caractères pour constater que ce taux n'est bon que pour ceux qui présentent déjà «des risques cardiaques élevés et multiples». Pour mieux comprendre ce bémol, il est bon de s'intéresser à un autre indice, le NNT (Number Needed to Treat). En gros, il s'agit de calculer combien de gens doivent prendre un médicament pour qu'un patient en tire les bénéfices attendus.
En théorie, un bon médicament doit avoir un NNT inférieur à 100, explique Isabelle Taillon, pharmacienne à l'hôpital Laval. Pour les patients qui prennent des statines en prévention secondaire, le NNT oscille entre 16 et 23. En clair, cela veut dire qu'il faut prescrire une statine à entre 16 et 23 personnes pour que l'on puisse prévenir une attaque chez une seule d'entre elles. Or le NNT des statines est beaucoup plus élevé en prévention primaire. Il oscille alors entre 70 et 250 quand il s'agit de prévenir une attaque et peut atteindre les 500 quand il s'agit de prévenir une mort prématurée.
Pour le Dr Wright, prescrire une molécule à 500 personnes de manière à éviter la mort d'une seule ne vaut pas le coup. Surtout que les statines ne sont pas sans effets secondaires. À titre d'exemple, entre 7 et 15 % des patients développent des problèmes musculaires avec la prise d'une statine à laquelle ils sont abonnés à vie. Sans oublier les coûts que cela engendre. À environ 2 $ par jour, la statine n'est pas ce qu'on peut appeler un médicament abordable.
Toutefois, pour le cardiologue George Honos, cette vision est beaucoup trop simpliste. «Une crise cardiaque ne se produit pas du jour au lendemain, c'est un continuum.» Départager les patients qui ont eu des accidents cardiaques des autres est non seulement arbitraire mais dépassé, tranche ce spécialiste québécois. «Il faut voir plus large et s'intéresser à ce que nous appelons le risque global d'un individu.» Ce risque global est estimé en tenant compte de plusieurs facteurs additionnels, comme le diabète, l'hypertension, le taux de cholestérol ou encore les antécédents familiaux.
«Prenons une femme de 35 ans, active, qui présente un taux de cholestérol élevé et qui n'a jamais connu de problèmes cardiaques, raconte le cardiologue à l'Hôpital général juif de Montréal. Sous l'angle de la prévention primaire, le risque demeure très faible. Toutefois, si on mesure ce risque globalement, sachant que cette jeune femme a aussi développé un diabète et présente une légère hérédité familiale, la donne change. Le risque apparaît alors plus élevé et peut très bien justifier l'introduction d'une statine.»
C'est aussi l'opinion de la pharmacienne Isabelle Taillon, qui recommande des tests plus poussés pour juger de la pertinence ou non de prescrire une statine. Cette dernière estime d'ailleurs que la réalité québécoise est beaucoup plus rassurante que celle de nos voisins du Sud. «Là-bas, les médecins ont la gâchette facile, ils cherchent la panacée pour éviter les poursuites. Ici, on est très prudents, spécialement en prévention primaire. À ceux-là, on ne prescrit la statine que si le risque global est jugé élevé.»
Un avenir assuré?
Cela n'empêche pas certains scientifiques de plaider en faveur d'une approche préventive beaucoup plus large — et donc très coûteuse — qui mise sur le plus grand nombre. L'exemple le plus frappant de cette approche nous vient des Britanniques, qui ont développé il y a quelques années une «polypill» rassemblant six pilules en une: de l'aspirine, trois médicaments contre l'hypertension, une statine et de l'acide folique. À l'époque, ceux-ci ont calculé que si toute la société prenait cette pilule dès 50 ans, on réduirait de 90 % le taux d'infarctus et d'accidents cardiovasculaires.
Mais cette approche, outre le fait qu'elle est très coûteuse, ne tient nullement compte des besoins réels des individus, répond le Dr Honos. «L'idéal, ce serait de pouvoir identifier ceux qui répondent bien aux statines. La pharmacogénétique pourra sans doute nous être d'un précieux secours sur ce plan, mais il faudra être patient, cette science étant encore en développement.» D'ici là, la mesure du risque global reste selon lui l'approche à préconiser.
Quant aux statines, leur avenir n'est pas en péril, tranchent la pharmacienne comme le cardiologue, qui qualifient ces molécules de sûres et fiables. Certes, «il y a des groupes à risque moins élevé pour qui il faudrait peut-être s'attarder davantage à des approches moins médicamenteuses, comme l'alimentation ou l'exercice, convient le Dr Honos. Mais quand ces gens verront leur risque global grimper avec l'âge, la médication sera alors incontournable.»
Au final, seul le Vytorin risque de ne pas sortir indemne de la petite tempête qu'il a lui-même déclenchée, tranchent plusieurs scientifiques. Sa chute risque aussi de faire du mal à l'Ezetrol, croit le Dr Honos. Personne n'est en effet en mesure de dire si les résultats décevants du Vytorin doivent être attribués à l'Ezetrol ou si c'est la statine qui doit en porter la responsabilité. «Chose certaine, beaucoup de mes collègues y penseront à deux fois avant de prescrire l'Ezetrol en combinaison avec d'autres statines plutôt que de prescrire des statines à fortes doses.»