Si ça sent le beurre, c'est peut-être dangereux

L’odeur de beurre du maïs soufflé qu’on se plaît à manger en écoutant un bon film est créée artificiellement avec de l’acétyle, un additif alimentaire soupçonné d’être responsable de maladies respiratoires chroniques.
Photo: Jacques Grenier L’odeur de beurre du maïs soufflé qu’on se plaît à manger en écoutant un bon film est créée artificiellement avec de l’acétyle, un additif alimentaire soupçonné d’être responsable de maladies respiratoires chroniques.

Haro sur la saveur de beurre. L'Union internationale des travailleurs de l'alimentation (UITA) appelle au retrait immédiat du marché canadien du diacétyle, un additif alimentaire largement utilisé par l'industrie pour donner artificiellement le goût du beurre à des milliers de produits, dont le pop-corn. Ce geste, qu'Ottawa n'a toutefois pas l'intention de poser pour le moment, est jugé nécessaire par l'organisme basé en Suisse, et ce, pour prendre le temps de réévaluer cette substance chimique soupçonnée d'être à l'origine d'une maladie pulmonaire irréversible.

«Nous disposons de plus en plus de preuves scientifiques montrant que cet arôme alimentaire fait peser un réel danger chez ceux qui le manipulent», a indiqué au Devoir le porte-parole de l'UITA, Peter Rossman, joint en début de semaine par téléphone en Suisse. «Dans ce contexte, les autorités sanitaires et agences de réglementation de tous les États ont désormais l'obligation de suspendre l'usage du diacétyle dans l'alimentation mais aussi de revoir leurs cadres réglementaires pour tenir compte à l'avenir de la toxicité de cette substance.»

Additif alimentaire présent depuis des années dans le maïs soufflé, les croustilles de pommes de terre, mais aussi dans les vinaigrettes, les sauces, les fromages fondus, les biscuits, les produits de boulangerie ainsi que dans un ensemble d'aliments surgelés et de collations, le diacétyle synthétique est en effet sur la sellette depuis le début du siècle.

Selon une étude de l'Institut national de santé et sécurité au travail (NIOSH) des États-Unis, un organisme gouvernemental relevant du Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC), cette substance serait étroitement liée à la bronchiolite oblitérante, une maladie pulmonaire potentiellement mortelle qui, étrangement, affecte davantage les ouvriers des usines de fabrication de pop-corn pour micro-ondes, où le diacétyle est massivement utilisé.

Entre 1993 et 2000, le NIOSH a étudié un groupe de 135 de ces travailleurs. Résultat: les cas de toux chronique, d'essoufflement mais aussi d'asthme et de bronchite chronique diagnostiqués étaient de 2 à 2,6 fois plus élevés chez eux que dans la population en général. Pis, ces travailleurs couraient 3,3 fois plus de risques de composer avec des obstructions des voies aériennes, poursuit cette étude publiée en 2002 dans le New England Journal of Medicine (NEJM).

Les auteurs concluent d'ailleurs que «la découverte d'un taux élevé de maladies pulmonaires, tout comme la relation entre l'exposition à un composé organique volatil et les troubles pulmonaires obstructifs chez les travailleurs exposés, indique qu'ils souffrent d'une bronchiolite oblitérante professionnelle causée par l'arôme synthétique de beurre». Notons que ce lien vaut à cette maladie, depuis cette époque, le nom sans équivoque de «maladie pulmonaire du travailleur du pop-corn». Pour le moment.

C'est que les consommateurs pourraient aussi, dans une moindre mesure, y être exposés, selon deux récentes découvertes. En septembre dernier, Cecil Rose, de l'Université du Colorado, a en effet rapporté, dans une lettre adressée au CDC, le premier cas possible de bronchiolite oblitérante développée par une exposition quotidienne aux vapeurs de maïs soufflé à micro-ondes chez un jeune américain.

Du diacétyle dans la cuisine

Par ailleurs, une analyse en laboratoire commandée par le quotidien américain Seattle Post-Intelligencer, publiée au début du mois, vient de mettre en lumière des teneurs élevées de diacétyle dans l'air lors de l'utilisation dans une cuisine de beurre ou de corps gras — margarine, substitut de beurre en vaporisateur, etc. — contenant cet arôme artificiel. Et ce, à des niveaux équivalents ou supérieurs à ceux trouvés dans des usines de maïs soufflé.

Devant ces nombreuses mises en accusation du diacétyle, les quatre principaux fabricants américains de maïs soufflé se sont engagés l'été dernier à retirer cet arôme artificiel de leurs produits dans les prochains mois. L'American Pop Corn, l'entreprise derrière les maïs Orville Redenbacher, entre autres, est du nombre.

De plus, en septembre dernier, sous la pression de représentants syndicaux et de médecins, la Chambre américaine des représentants a également adopté un projet de loi afin de renforcer le contrôle de cette substance en milieu de travail. Si elle est ratifiée par le Sénat, cette réglementation pourrait contraindre les autorités sanitaires américaines à définir des normes d'exposition au diacétyle et à en évaluer la toxicité.

«Aux États-Unis, nos appels commencent à être entendus, a souligné M. Rossman. Ces démarches, de l'industrie et du gouvernement, sont un bon début. Maintenant, nous espérons que le Canada va en faire tout autant.»

La chose n'est pas jouée d'avance. En effet, Santé Canada estime que le «diacétyle, lorsqu'il est utilisé dans l'alimentation comme agent de saveur, ne fait pas poser de risque particulier pour la santé humaine», a indiqué Paul Duchesne, porte-parole du ministère, tout en ajoutant: «Nous restons vigilants, mais nous n'avons pas l'intention de revoir notre réglementation pour l'instant.»

Au Canada, le diacétyle ne fait pas l'objet d'une attention particulière de Santé Canada ni d'une évaluation serrée de son innocuité puisqu'il est considéré, non pas comme un additif alimentaire, mais comme un agent de saveur, en vertu de la Loi sur les aliments et drogues. Qui plus est, sa présence dans un produit alimentaire n'est généralement pas indiquée sur les emballages des aliments: cet arôme se retrouve en effet sous l'appellation générique «arôme artificiel» ou «arôme de beurre».

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