Septicémie - Découverte clé contre le tueur no 2 des unités de soins intensifs

Après quelques semaines aux soins intensifs dans un état précaire mais stable à la suite de problèmes cardiovasculaires, Hubert et Yvon ont finalement contracté une septicémie qui les a emportés en l'espace de quelques heures. Deuxième cause de mortalité dans les unités de soins intensifs, la septicémie est létale pour 50 % des personnes qui en sont victimes. Cette infection systémique est très souvent fatale en raison de l'absence de traitements efficaces. Et le seul qui agit tant bien que mal coûte énormément cher et n'est accordé qu'aux cas exceptionnels. Une équipe de chercheurs de l'université McGill a récemment découvert une nouvelle cible à viser, soit une enzyme dénommée caspase-1, pour sauver les personnes atteintes de septicémie.

Grandement affaiblis, les patients aux soins intensifs contractent fréquemment des infections pulmonaires, intestinales ou urinaires. Et en raison de leur état de santé fragile, leur système immunitaire ne parvient parfois pas à contrôler ces infections — souvent nosocomiales — qui se disséminent alors dans le sang, voire dans l'ensemble de l'organisme, causant du coup des infections systémiques, aussi appelées septicémies, sepsis ou chocs septiques. Ces derniers peuvent aussi survenir à la suite d'une grippe, de brûlures étendues sur le corps, voire d'un simple accident ou trauma, ajoute Maya Saleh, professeure au département des soins intensifs et chercheuse au Centre d'étude de résistance de l'hôte du Centre universitaire de santé McGill (CUSM).

Lorsqu'une pneumonie se déclare, par exemple, les globules blancs quittent le sang pour infiltrer le tissu pulmonaire dans lequel ils se transforment en macrophages, véritables fantassins du système immunitaire qui phagocyteront les bactéries. «Quand il y a une infection, des protéines du macrophage, dites détectrices de pathogènes, vont se lier aux bactéries et c'est alors que les macrophages vont activer la caspase-1, une enzyme qu'ils contiennent mais qui était jusque-là inactive», précise la biochimiste Maya Saleh. Une fois activée, la caspase-1 induit la production et la libération de médiateurs de l'inflammation, appelés cytokines, par les macrophages.

L'inflammation pour éliminer les bactéries

L'inflammation permet de combattre une infection en nous débarrassant des pathogènes, elle est bénéfique, explique la scientifique. Mais si les bactéries se répandent dans le sang, comme c'est le cas lors d'une septicémie, les bactéries déclenchent une inflammation aiguë très intense, se traduisant par une tempête de cytokines qui est très toxique pour nos tissus. «Lors d'une septicémie, c'est l'inflammation et non les pathogènes qui tue le patient car l'inflammation atteint dans ce cas une intensité telle qu'elle entraîne la destruction des tissus.»

En se basant sur cette observation, des études cliniques visant à bloquer les cytokines dans le but de freiner l'inflammation avant qu'elle n'atteigne des sommets incontrôlables ont été effectuées, mais en vain. «Même si on bloquait l'inflammation par ces médicaments, on ne parvenait pas à stopper les dommages provoqués par la septicémie. Cet échec nous a indiqué que ce n'était pas seulement l'inflammation qui causait la mort, mais quelque chose d'autre.»

Des souris génétiquement modifiées qu'on avait dépouillées du gène responsable de la synthèse de la caspase-1 sont devenues résistantes à la septicémie, raconte la chercheuse. Par contre, les souris qu'on avait privées des gènes produisant les cytokines continuaient à mourir de septicémie. «Cela nous a confirmé que les cytokines ne sont pas les seules en cause dans la létalité car si on les bloque, ce n'est pas suffisant pour arrêter la septicémie. On a alors décidé d'étudier les autres activités de la caspase-1 en plus de son rôle dans la régulation de l'inflammation», dit-elle. Maya Saleh et son équipe se sont donc appliqués à déterminer toutes les protéines sur lesquelles la caspase-1 intervient en plus des cytokines. Elles ont ainsi découvert que l'enzyme interrompt la glycolyse, une voie métabolique qui transforme le glucose en énergie pour les cellules. «Il s'agit d'une voie importante pour la survie des cellules, y compris des macrophages, souligne la biochimiste. La caspase-1 peut aussi causer la mort des macrophages en dégradant des protéines clés dans la glycolyse qui fournit normalement l'énergie à ces cellules.»

La source d'énergie tarie par la caspase-1

La glycolyse est également importante pour la contraction des muscles, poursuit la biochimiste avant de faire remarquer que les patients en septicémie meurent souvent d'insuffisance respiratoire. «Or, nous avons confirmé que l'activation de la caspase-1 durant la septicémie contribuait aussi à la destruction de toutes les protéines intervenant dans la glycolyse au sein du diaphragme, le muscle qui entoure les poumons et le coeur. Privé ainsi de sa source d'énergie, le diaphragme perdait sa contractilité, ce qui conduisait à une insuffisance respiratoire», souligne Mme Saleh.

Cette découverte fondamentale du rôle de la caspase-1 dans la glycolyse fait l'objet d'une publication qui a été sélectionnée «article de la semaine» dans le Journal of Biological Chemistry car il s'agit d'une découverte qui aura une portée déterminante dans la mise au point de nouveaux traitements pour contrer la septicémie.

«Nous avons besoin de la caspase-1 pour produire des cytokines et induire l'inflammation afin de nous débarrasser des pathogènes. Mais nous ne voulons pas qu'elle s'emballe sinon elle déclenchera une tempête de cytokines et dégradera toutes les protéines de la glycolyse, ce qui entraînera une dépression de la respiration», résume la chercheuse en rappelant que les animaux génétiquement modifiés qui ne possèdent plus le gène de la caspase-1 sont résistants à la septicémie, mais demeurent plus vulnérables aux infections.

Il faudrait donc bloquer la caspase-1 non pas au début de l'infection — car cela serait nuisible puisqu'on priverait l'organisme des macrophages, des cytokines et d'une réaction inflammatoire aptes à combattre les pathogènes et à anéantir l'infection — mais au moment où l'inflammation prend de l'ampleur. «Il nous faudrait administrer des inhibiteurs de la caspase-1 aux patients qui se trouvent aux soins intensifs au moment où débute la septicémie afin de bloquer la destruction des enzymes de la glycolyse», précise Maya Saleh, qui affirme par ailleurs que l'on pourrait disposer d'inhibiteurs de la caspase-1 d'ici quelques années tout au plus. «Plusieurs compagnies pharmaceutiques sont en train de les préparer. La caspase-1 appartient à une famille de caspases qui ont d'autres fonctions, mais pour lesquelles il existe déjà des inhibiteurs. Comme toutes les caspases se ressemblent, nous n'aurons qu'à modifier légèrement la structure de leurs inhibiteurs», souligne la scientifique dont la recherche promet l'avènement de traitements efficaces pour contrer la fatalité qui est trop souvent associée à la septicémie.

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