Médicaments et publicité, un cocktail malsain pour la santé
L'Union des consommateurs demande à Ottawa de sonner la fin de la récréation dans le monde de la publicité des médicaments d'ordonnance. Jugées néfastes pour la santé publique, ces annonces télédiffusées ou imprimées prolifèrent actuellement grâce au laxisme de Santé Canada, a dénoncé hier l'organisme. L'Union invite d'ailleurs la population à interpeller le ministre fédéral de la Santé et les députés pour que le cadre légal entourant ces publicités soit définitivement resserré.
Pour le groupe de pression versé dans la défense des droits des consommateurs, les compagnies pharmaceutiques exploitent actuellement un vide dans la Loi sur les aliments et drogues afin de faire la promotion de leurs produits. Le médicament Celebrex, contre les douleurs arthritiques, l'anticholestérolémique Lipitor ou encore les inducteurs d'érection Viagra et Cialis sont montrés du doigt.En substance, la réglementation fédérale interdit la publicité portant sur des médicaments. Elle autorise toutefois depuis 1978 les pubs dites de rappel, qui permettent des campagnes portant uniquement sur le nom d'un produit, sa quantité et son prix. Point. Cette disposition vise à aider les consommateurs à comparer les prix entre des médicaments similaires.
Or, avec des publicités «à forte charge émotive» montrant des gens sautant de joie (Viagra) ou des vieux actifs et en santé (Celebrex), dit l'Union des consommateurs, les compagnies pharmaceutiques, mais aussi les diffuseurs de ces messages, «trahissent l'intention du législateur». Loin d'être des publicités de prix, les campagnes pour Cialis et consorts ne sont rien d'autre, poursuit l'organisme, que des outils visant à «stimuler la vente de certains produits en particulier».
«La brèche est trop grande, a résumé en entrevue au Devoir Charles Tanguay, porte-parole de l'Union des consommateurs. Et les effets sont pernicieux. Ces messages commerciaux ne fournissent pas une information impartiale pour faire de bons choix éclairés en matière de santé. Au contraire, ils sont à l'origine d'une surconsommation de médicaments mais aussi d'une augmentation du coût de ces produits. Car la publicité, au final, c'est le consommateur qui la paye. Et ce même si le produit annoncé n'est pas forcément le meilleur.»
La critique est difficilement saisie par les représentants de cette industrie, qui indiquent avoir un «code d'éthique» strict pour diffuser de l'information. Cette diffusion se fait d'ailleurs «dans les limites des paramètres approuvés par Santé Canada», a indiqué hier François Lessard, porte-parole de Rx&D, un groupe de pression qui représente l'ensemble des compagnies pharmaceutiques au pays.
Apostropher le gouvernement
N'empêche, invoquant au passage la pression des coûts des médicaments sur les systèmes de santé, l'Union des consommateurs invite donc la population à agir en envoyant une carte postale au ministre de la Santé et aux députés. Objectif: demander l'abolition de la disposition de la loi dans laquelle les entreprises pharmaceutiques se faufilent actuellement et surtout exiger d'Ottawa qu'il s'oppose farouchement «à toute tentative de faire lever ou d'assouplir les restrictions à la publicité des médicaments d'ordonnance», peut-on lire sur le site Internet de l'Union.
Depuis décembre 2005, CanWest Mediaworks, un grand groupe médiatique canadien, tente en effet devant les tribunaux de faire disparaître ces restrictions. La contestation se fonde sur la Charte canadienne des droits et libertés. Elle est aussi vivement dénoncée par une vaste coalition d'acteurs du monde de la santé qui, comme l'Union des consommateurs, juge que l'interdiction de ces publicités est «essentielle pour la protection de la santé et pour la viabilité des programmes d'assurance maladie publics et privés», indique Linda Silas, présidente de la Fédération canadienne des syndicats d'infirmières et infirmiers dans un communiqué de presse diffusé au début du mois.
Selon le Comité permanent de la santé, le Canada doit dépenser en 2006 près de 27 milliards de dollars en produits pharmaceutiques. C'est plus de la moitié de l'argent dépensé pour les hôpitaux. Cette somme est également trois fois plus élevée qu'il y a 10 ans, où à peine 10 milliards ont été consacrés à l'achat de médicaments par les Canadiens.