Prix J.-Armand-Bombardier - Pilules sous contrôle

Les maladies causées par les médicaments sont la sixième cause de mortalité au Canada. C'est à cet enjeu méconnu du système de santé que se sont attaqués les récipiendaires du prix J.-Armand-Bombardier de cette année, les docteurs Robyn Tamblyn et Allan Huang, chercheurs à l'université McGill.
Le système qu'ont élaboré les chercheurs Tamblyn et Huang, le Medical Office of the XXIst Century (MOXXI), permettra aux médecins et aux pharmaciens de mieux communiquer et ainsi, d'éviter des erreurs fatales. Cette base de données interactive, sans fil et simple d'utilisation, devrait être intégrée au système de soins de santé dès février 2007.Les docteurs Robyn Tamblyn et Allan Huang, respectivement professeure au département de médecine, d'épidémiologie et de biostatistiques et professeur au département de médecine et de gériatrie, ont repéré trois problèmes reliés à la prescription de médicaments.
Centraliser l'information
La première difficulté tient au peu de communication possible entre médecins et pharmaciens. En effet, le système actuel ne permet pas de réunir pour un même patient l'ensemble des ordonnances que ce dernier accumule au cours de sa vie. Complexifiant le portrait, le patient moderne visite plusieurs médecins et différentes pharmacies. À l'urgence, les médecins n'ont aucune idée de l'ensemble des médicaments prescrits ou de la raison pour laquelle ils le sont.
Le système MOXXI permettra de réunir dans un même dossier informatisé toutes les informations liées aux ordonnances d'un patient. Le médecin devra indiquer pour chaque ordonnance la raison pour laquelle un traitement est prescrit ou interrompu. Car un même médicament peut être prescrit pour différentes raisons. Les sédatifs, par exemple, peuvent être utilisés autant pour traiter l'insomnie que pour prévenir les attaques cardiaques. Et si un traitement est interrompu pour être remplacé par un autre, les pharmaciens doivent être mis au courant, afin d'éviter que les deux ordonnances soient données simultanément au patient. Le MOXXI permettra cette communication entre les différents professionnels.
Un autre enjeu est lié à la multiplication des médicaments d'ordonnance. L'équipe du MOXXI a en effet réalisé que les médecins ne connaissaient pas assez bien les nouveaux traitements pharmacologiques pour être en mesure de les prescrire adéquatement. Le système informatisé permettra de rassembler les connaissances sur les nouvelles thérapies afin de faciliter la prise de décision. Par exemple, un médecin pourra indiquer si l'utilisation d'un médicament s'est avérée efficace pour un certain type de patient.
Le vieillissement de la population devient aussi un enjeu majeur en pharmacologie. Les personnes âgées sont plus vulnérables en ce qui concerne les effets indésirables. Elles consomment souvent de véritables cocktails thérapeutiques et sont plus susceptibles de faire des erreurs dans la prise de leurs médicaments. Les troubles cognitifs associés à l'âge rendent aussi complexe la communication entre le médecin, le patient et le pharmacien. Il est difficile pour un pharmacien de conseiller un patient sur la prise de ses médicaments s'il ne connaît pas le motif de la prescription.
Le système MOXXI permettra en outre d'éviter les erreurs liées à l'interaction des médicaments, aux allergies et aux autres problèmes de santé. L'asthme, par exemple, peut être aggravée par certains médicaments. Une fonction intégrée dans le système MOXXI permet d'éviter ce type d'erreurs. Quand un médicament susceptible d'aggraver la santé du patient est sur le point d'être prescrit, une alerte avertit le médecin du danger.
Des enjeux éthiques
L'industrie de la pilule représente dans le monde quelques centaines de milliards de dollars. Selon la docteure Robyn Tamblyn, le système MOXXI est perçu par les compagnies pharmaceutiques comme étant potentiellement «leur pire cauchemar ou leur meilleur ami». En effet, puisque le système aide les médecins à choisir le meilleur médicament à prescrire, l'enjeu des commerçants est de se retrouver toujours en haut de la liste.
Aux États-Unis, les groupes de pression pharmaceutiques n'ont pas couru de risques. Ils ont investi massivement dans les systèmes de prescription informatisés. «Les Américains ont tout de suite vu dans ce genre de système une possibilité de marketing. Là-bas, les médicaments qui se retrouvent en haut de la liste sont commandités», explique la Dre Tamblyn.
L'équipe du MOXXI est consciente du danger. C'est pourquoi elle a puisé ses subventions dans l'entreprise informatique et non dans le domaine pharmaceutique. «Les compagnies informatiques ont également un intérêt à développer cette technologie car elles vont pouvoir les revendre aux systèmes de soins de santé», explique-t-elle.
Le respect de la confidentialité a également été pris en compte par l'équipe du MOXXI. «Nous avons travaillé avec le conseil législatif de la Régie de l'assurance maladie du Québec [RAMQ], la Commission d'accès à l'information, le Bureau de l'éthique et l'Institut de recherche de Montréal, explique Robyn Tamblyn. Les patients peuvent refuser que leur dossier soit informatisé et quand un médecin ou un pharmacien veut accéder au dossier d'un patient, plusieurs mesures sont prises pour s'assurer de l'identité du professionnel.»
Au Québec en 2008
Pour que l'utilisation du système MOXXI soit optimale, tous les médecins et pharmaciens du Québec devraient avoir accès à la base de données d'ici 2008. Cette implantation est extrêmement coûteuse et on ne peut pas dire qu'elle réduira le fardeau financier de la RAMQ. «C'est plus une question de sécurité, explique la Dre Tamblyn. Il est possible qu'à long terme le système fasse baisser le coût de l'assurance médicament, mais ce n'était pas l'objectif premier.»
C'est peut-être parce qu'elle était ainsi motivée par des soucis de sécurité et de santé des patients, et non par des objectifs financiers, que l'équipe du MOXXI s'est vu décerner le prestigieux prix de l'Acfas. Le prix J.-Armand-Bombardier a été créé en 1980 par l'Association francophone pour le savoir en l'honneur du célèbre inventeur de la motoneige. Il récompense les travaux de recherche ayant contribué à une innovation technologique. L'équipe du MOXXI a été appuyée par Abraham Fuks, doyen de la faculté de médecine de l'université McGill, par l'Institut de recherches cliniques de Montréal, par l'Université de
Colombie-Britannique ainsi que par l'école de médecine de l'université Harvard.
Collaboratrice du Devoir