Bernard Landry et les compétences exclusives du Québec en santé - Ottawa peut garder tout son or
Le gouvernement québécois ne se laissera pas acheter: Ottawa peut garder son argent s'il impose des conditions qui empiètent sur les compétences exclusives du Québec en santé, assure Bernard Landry.
Bernard Landry est prêt à renoncer à l'argent qu'offrirait le gouvernement fédéral pour renflouer le système québécois de soins de santé si Ottawa impose des conditions qui portent atteintes à la compétence exclusive du Québec en ce domaine.Le gouvernement fédéral peut garder son argent s'il cherche à empiéter dans les responsabilités en santé que la Constitution de 1867 confère au Québec. «On peut en arriver là», a prévenu le premier ministre lors d'une entrevue qu'il a accordée à l'équipe du Devoir hier. «Il y a des principes, là. Et on ne se laissera pas acheter», a-t-il dit.
Pour contrer le sous-financement du système québécois de santé, le premier ministre ne compte ni sur un système de santé à deux vitesses, tout à fait inacceptable à ses yeux, comme le propose l'Action démocratique du Québec, ni sur une diminution des budgets consentis aux autres missions de l'État, à l'instar du Parti libéral, ni même sur la caisse santé dont rêve François Legault. Bernard Landry a les yeux tournés vers Ottawa. «Surtout, Romanow s'en vient», a-t-il dit. Le rapport de la commission présidée par Roy Romanow sur «le système canadien de santé» est attendu en novembre, et le premier ministre Jean Chrétien tiendra sur cette question une conférence fédérale-provinciale des premiers ministres en janvier.
La commission Romanow ne pourra pas suggérer autre chose «qu'une correction quelconque du financement fédéral», prévoit-il. Conscient que cette correction prendra sans doute la forme traditionnelle d'un accroissement du Transfert social canadien, le premier ministre n'entend pas cesser la bataille qu'il mène en vue de mettre fin au déséquilibre fiscal, ce qui passe par un transfert de points d'impôt ou de la TPS fédérale en faveur des provinces. Lors des dernières conférences des premiers ministres provinciaux, à Victoria et à Halifax, son gouvernement a réussi à convaincre les autres provinces de s'unir pour exiger d'Ottawa qu'il corrige le déséquilibre fiscal. «C'est notre oeuvre, c'est notre suggestion, a-t-il rappelé. Ça commence à faire une sacrée pression sur le gouvernement fédéral.» Ce front commun, contrairement à bien d'autres qui n'ont pas tenu, va résister, croit-il. Les autres premiers ministres «savent que s'ils proposent la moindre chose qui centralise la santé à Ottawa, ça va être: non, non, non et non, je ne signerai pas, a-t-il dit. Mais ils savent par ailleurs que si notre intérêt se retrouve avec le leur, on va être ensemble.»
À la suite du Forum national sur le déséquilibre fiscal, tenu cette semaine, le gouvernement peut compter sur l'appui de la société civile québécoise, notamment les centrales syndicales, qui pourraient mobiliser leurs membres et sensibiliser les syndicats dans le reste du Canada. Mais il rejette aujourd'hui l'idée de tenir un référendum sur le rapatriement de points d'impôt. «Je ne pense pas qu'une consultation populaire soit maintenant l'instrument le plus utile. Il y a une unanimité québécoise.»
Selon M. Landry, on assiste aujourd'hui à la confirmation de ce qu'il pense depuis des années: l'existence d'une stratégie fédérale d'étranglement fiscal. Avec leurs déclarations suggérant au gouvernement du Québec de fermer ses délégations à l'étranger, Jean Chrétien, Stéphane Dion et John Manley en ont donné la preuve. «La tactique du fédéral, c'est de dire: on va les serrer tellement en santé qu'un jour, ils auront à choisir entre l'urgence de l'hôpital Notre-Dame et la délégation de Paris. C'est arrivé», a soutenu M. Landry. Pas question non plus de hausser les impôts. «On va faire une sacrée bataille» pour maintenir toutes les missions que l'État québécois s'est données.
Mais Bernard Landry rejette la suggestion qu'on lui a souvent faite de mener «une bataille à la Duplessis», par exemple retenir la TPS que le gouvernement du Québec prélève pour le compte du gouvernement fédéral. Ce sont «des méthodes brutales», «aléatoires», qui entraîneraient «une vengeance terrible» de la part d'Ottawa. Plus important encore: «Nous sommes des légalistes, des légitimistes, et on respecte la Constitution. On a perdu le référendum.»