Papineau aurait-il voté Marois ou Charest? Plutôt Obama!

Le Parti québécois n’a jamais eu peur de se souvenir de Papineau et du Parti patriote. En 1979, Gérald Godin rappelait la « filiation » entre Papineau et son parti ; à la mort de René Lévesque, en 1987, Camille Laurin considérait ce dernier comme « l’incarnation moderne » de Papineau ; en 2003, Bernard Landry, devenu chef de l’opposition officielle, n’osait pas prétendre qu’il était « son successeur comme chef du parti des patriotes », mais ajoutait qu’il y avait « un peu de ça aussi ».
Au cours de la derniè re campagne électorale, Pierre Duchesne, député élu de la circonscription de Borduas, s’est montré très enthousiaste face à l’édification prochaine du Mémorial Louis-Joseph-Papineau à Saint-Denis, projet initié par plusieurs indépendantistes notoi res. Parions d’ailleurs que le nouveau gouvernement péquiste soulignera avec ardeur le 175e anniversaire de la Rébellion de 1837. Plus d’ardeur, en tout cas, qu’en aurait montré un gouvernement Charest réélu.
Cela dit, les libéraux aussi, quoique dans une moindre mesure, ont réclamé une part de l’héritage de Papineau. Claude Ryan, dans un document intitulé Les valeurs libérales et le Québec moderne (2004), plaçait le nom de Louis-Joseph Papineau tout en haut de l’arbre généalogique du Parti libéral du Québec.
Deux ans auparavant, lors du dévoilement du monument dédié à Papineau sur le terrain de l’Hôtel du Parlement, la députée de Saint-François et représentante du chef de l’opposition officielle, Monique Gagnon-Tremblay, identifiait un vrai libéral : Papineau avait été, selon elle, un « promoteur de l’épanouissement individuel pour qui le rôle de l’État était de protéger et de favoriser l’éclosion des libertés individuelles » ; il s’était même « engagé dans un combat pour défendre les individus, leur créativité et leur culture ».
Ainsi, Papineau, libéral ou péquiste ? Caquiste, alors ? On verra. Chose certaine, devant ce jeu de récupérations politiques, le fait de se demander ce que l’homme dirait du scrutin ne tient plus de l’histoire-fiction : une telle tâche participe plutôt d’un nouvel équilibrage de sa mémoire, plus juste, lequel passe par une prise en compte sérieuse de sa pensée politique.
Cette connaissance n’est possible que depuis quelques années : elle procède de la publication de la correspondance complète de l’homme politique, fruit d’un travail titanesque entrepris il y a plusieurs années par Georges Aubin, Renée Blanchet et François Labonté. Sans le soutien des grandes institutions, de simples citoyens se sont occupés de leur passé. C’est à la fois exemplaire de l’engagement citoyen de plusieurs Québécois et révélateur du destin mémoriel de Papineau.
Quelques formules fracassantes
Malgré l’absence d’une biographie un tant soit peu substantielle de l’homme politique - les travaux de l’historien Fernand Ouellet, pionniers, ne sauraient suffire à cette tâche -, on comprend rapidement que le moment « indépendantiste » de Papineau, qui permet au Parti québécois de se trouver un ancêtre, ne dure que quelques années, en aval surtout de la défaite de 1837 et pendant l’exil de huit ans vers les États-Unis et la France.
Il y a quelques formules fracassantes dans son Histoire de l’insurrection du Canada (1839) : « Les Canadiens n’ont aucune justice à espérer de l’Angleterre ; […] pour eux, la soumission serait une flétrissure et un arrêt de mort, l’indépendance, au contraire, un principe de résurrection et de vie. »
Autre exemple : « Un récit historique, impartial et succinct, des événements qui se sont passés dans mon pays pendant les deux dernières années portera dans tous les esprits cette conviction que ce ne sont pas les statuts anglais qui régleront le prochain avenir du Canada ; mais que cet avenir est écrit dans les déclarations des droits de l’homme et dans les constitutions politiques que se sont données nos bons, sages et heureux voisins, les Américains indépendants. » Déjà, l’orientation de l’émancipation se profile : elle sera américaine. Le Québec choisirait-il la langue anglaise ? Voilà de quoi inquiéter le gouvernement actuel et sa « nouvelle » loi 101.
Le régime de l’Union, que Papineau - de retour d’exil - combat vertement alors qu’il siège de nouveau à l’Assemblée législative de 1848 à 1851 puis de 1852 à 1854, l’isole. Fidè le à « ses idées d’homme de 1830 », comme le di ra le chanoine Groulx, il rappelle partout ses idées républicaines en rupture avec le régime de collaboration et de conciliation incarné par l’entente Baldwin-La Fontaine.
Si les historiens ont fini par considérer que l’obtention officielle du gouvernement responsable en 1848 était la victoire différée de la Rébellion de 1837, la correspondance de Papineau montre bien le contraire : les Patriotes voulaient une république comme celle des États-Unis, pas un réaménagement des liens coloniaux.
De plus, on ne saurait établir un lien direct entre le libéralisme de Papineau et celui qui s’est construit, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, sur les bases de cette idée de la conciliation et du compromis ainsi que sur l’édulcoration de son ancien contenu émancipatoire.
Ce libéralisme est bien incarné par l’oeuvre de Wilfrid Laurier, dont André Pratte a tiré il y a deux ans une véritable hagiographie. Bref, le fédéralisme, corps mort de la politique libérale depuis 2003, aurait eu bien peu de chances de séduire un homme qui, sa correspondance le dit bien, cherchait un régime républicain. Ce qui, on en conviendra, est à quelques années-lumière d’un Conseil de la fédération. De Louis-Joseph Papineau à Jean Charest, disons poliment que les filiations ne vont pas de soi. Et rien n’indique que le prochain chef du Parti libéral changera cette donne.
Ni péquiste ni libéral
C’est ainsi qu’une troisième option s’impose : Papineau ne serait ni péquiste, ni libéral, mais membre d’un parti politique américain. En effet, les signes de la préférence républicaine de Papineau pour la « responsabilité représentative » plutôt que pour la « responsabilité ministérielle » ne manquent pas.
Annexionniste en 1848, il dénonce l’idée du Canada-Uni, d’une seule province, en faveur d’au moins huit États américains : « Il y a de quoi couper bien des États dans l’espace immense que comprennent le Haut et le Bas-Canada. Il y a, sur cette ligne frontière, huit différents États chez les Américains, et l’on ne veut faire ici qu’une seule province. » Il décrit le mode électif aux États-Unis et résume ainsi son propos républicain : « Nous devons donc, pas à pas, nous rapprocher le plus généralement possible de l’extension du système électif. » La langue française serait-elle menacée dans la vallée laurentienne ? De la Louisiane à l’île d’Orléans, Zachary Richard et Félix Leclerc auraient-ils donc partagé un destin semblable ?
Papineau, dans sa logique annexionniste, essaie pourtant de sauver les meubles. Fin 1856, il écrit à son fils Amédée : « Colonie, notre nationalité sera étouffée et extirpée par la violence et l’insulte. État, elle se modifiera lentement par l’assimilation, ayant autant et plus à donner pour faire naître l’esprit français littéraire, artistique et éminemment social autour d’elle, et à emprunter pour devenir plus active et industrieuse qu’elle n’est. » La compensation de l’assimilation linguistique par la valorisation de l’esprit français indique bien le prix à payer pour pondérer démocratie et nationalité.
La constance de Papineau est surtout démocratique : ce sont les institutions américaines - comme le Sénat électif dans certains États - et le système de contrepoids des pouvoirs créé par la Constitution américaine qui sauveront le Bas-Canada. Mais la pensée politique de Papineau va plus loin, se complexifie, ne laisse que peu d’espace pour les récupérations actuelles. La guerre civile américaine (1861-1865) déstabilise le défenseur du système américain. Il en viendra à souhaiter, du moins en privé, une fédération continentale - sorte de ZLEA avant la lettre ! - dépassant bien sûr la seule question du libre-échange.
Papineau aura donc mis la démocratie devant les questions, néanmoins essentielles, de la nationalité. Pour les péquistes, ce peut être un sérieux problème identitaire. C’est le choix d’un homme qui joue le va-tout de son peuple en tenant pour acquis que les droits démocratiques le sauveront. Pour les libéraux actuels, ce peut aussi être un problème. De tels choix, qui n’ont rien de facile encore aujourd’hui, ne donnent pas à penser que l’homme serait péquiste ou libéral, mais peut-être plutôt membre de l’actuel Parti démocrate américain.
Pour qui voterait Papineau ? Trêve d’histoire-fiction. Répondons bêtement que ses choix, Papineau les a faits en son temps. Avec la constance et la volonté d’achever quelque projet. Peut-être a-t-on essayé de faire de même le 4 septembre dernier ? Le temps nous le dira.
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Les auteurs publieront le 25 septembre Papineau. Erreur sur la personne aux Éditions du Boréal. Yvan Lamonde est professeur émérite du Département de langues et de littératures françaises de l’Université McGill. Jonathan Livernois est chercheur postdoctoral au Département de langue et littérature françaises de l’Université d’Ottawa.
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