Le comédien Jasmin Roy n’aura pas droit à l’anonymat, tranche la Cour suprême

La Cour suprême du Canada rejette une requête de Jasmin Roy, qui souhaitait poursuivre un homme en conservant son anonymat.
Paul Giamou Getty Images iStockphoto La Cour suprême du Canada rejette une requête de Jasmin Roy, qui souhaitait poursuivre un homme en conservant son anonymat.

La Cour suprême du Canada a rejeté la demande d’appel de Jasmin Roy, qui souhaitait conserver l’anonymat dans une poursuite en diffamation. Le comédien a en effet intenté des démarches juridiques contre un homme qui serait à l’origine de l’apparition de son nom sur la liste des présumés abuseurs du site Dis son nom en mai 2021.

Des documents de cour révèlent que M. Roy a multiplié les démarches pour faire retirer une publication de Jean-François Robillard, dont il estime les propos diffamatoires. Ce témoignage aurait mené la page Dis son nom à inscrire le nom du comédien sur sa liste de présumés abuseurs.

Rapidement, une mise en demeure a été envoyée à M. Robillard ainsi qu’aux administratrices de la page Dis son nom, A. A. et Delphine Bergeron. Cette procédure a mené à l’époque au retrait du nom de Jasmin Roy de la liste.

Or, en mai 2021, M. Robillard a publié un nouveau message où il reprend non seulement les allégations, mais expose aussi la mise en demeure qui lui avait été envoyée et la qualifie de « tentative d’intimidation ». « Tu me réclamais le retrait de ton nom de la liste des agresseurs, le versement de 150 000 $ en dommages et de ne plus aborder le sujet de l’agression que tu as commis[e] envers moi sans quoi je m’exposais à des poursuites civiles si je ne collaborais pas à tes exigences », est-il écrit dans la publication, qui a aussi été retirée depuis.

M. Robillard reconnaissait avoir supprimé sa première publication en août 2020, mais avoir compris « l’ironie » de la situation. « T’es à la tête d’une fondation contre l’intimidation, Jasmin, tu devrais montrer l’exemple, pas devenir un intimidateur toi-même. »

Il y racontait également qu’il avait porté plainte à la police, mais que sa dénonciation n’avait pas été retenue. « Malheureusement pour moi et heureusement pour toi… dans les cas d’agressions ou d’inconduites sexuelles, ­[il] y a peu ou pas de témoins. Donc, en absence de ta déposition, […] ça limite le travail des policiers… et faute de preuves, la police ne peut avancer le dossier, qui sera fermé pour l’instant », écrivait-il. M. Robillard y réclame « le droit de parole, le droit de raconter [son] histoire sans muselière, sans contrainte ».

La publication sera à nouveau relayée par Dis son nom, qui remet le nom de l’artiste sur la liste. Une deuxième mise en demeure est envoyée aux mêmes destinataires, mais cette fois, M. Robillard refuse de s’y conformer.

En entrevue avec Le Devoir, Jasmin Roy s’est dit « déçu de la décision » de la Cour suprême et a affirmé ne pas connaître M. Robillard. « Je ne le connais pas, je ne sais pas qui c’est ni d’où ça sort. »

« Mes avocats m’ont conseillé de demander l’anonymat, […] surtout qu’à l’époque, c’était très émotif dans les médias […] Ça ne me tentait pas d’être dans un cirque médiatique. En plus, je ne voulais pas entacher la fondation qui porte mon nom », explique M. Roy.

Justice et image publique

 

Le 4 juin 2021, l’avocat de Jasmin Roy, Me Jocelyn Vézina, avait déposé une requête pour que l’artiste puisse conserver son anonymat dans l’éventualité du dépôt d’une poursuite en diffamation contre M. Robillard. Devant le juge Sylvain Lussier, de la Cour supérieure du Québec, il a plaidé qu’en s’exposant publiquement, M. Roy et sa fondation verraient leur image souffrir.

« Qui plus est, il est hautement probable que les tiers et les partenaires d’affaires de [Jasmin Roy et de la Fondation Jasmin Roy], de par l’association naturelle qu’il est possible de faire avec [M. Robillard et Dis son nom], seront réticents à poursuivre leur collaboration avec celle-ci si les propos diffamatoires à l’égard de [Jasmin Roy] sont publiés et diffusés dans le cadre de la judiciarisation de ce dossier », peut-on lire dans les documents de cour.

L’avocat soutenait également que la survie de la Fondation Jasmin Roy pourrait être compromise. « L’existence et la survie de la [fondation] n’est possible que grâce à la contribution des tiers et des partenaires d’affaires de cette dernière. La publication et la diffusion des procédures judiciaires risqueraient sérieusement de mener à la cessation des activités de [la Fondation Jasmin Roy]. »

Me Vézina avait également fait valoir que son client était pris dans un « piège », puisque dans sa dernière publication, M. Robillard avait noté à l’intention de M. Roy que « si tu me poursuis, ta cause devient publique ».

Caractère public des débats

 

Dans une décision rendue à la mi-juin 2021, le juge Lussier a rappelé que le fait d’intenter une procédure judiciaire s’accompagne pour tout plaignant d’un lot d’inconvénients. « Il existe un risque que l’affaire attirera plus de médias que l’événement d’origine, note-t-il. Le dépôt d’une procédure en diffamation participe du droit à une défense pleine et entière : la partie lésée peut faire rétablir son honneur et sa réputation. »

Un consortium médiatique comprenant Le Devoir avait par ailleurs contesté la requête d’anonymat de l’artiste.

Le 22 septembre 2022, la Cour d’appel a rejeté la requête de M. Roy, qui s’est ensuite tourné vers la Cour suprême. Cette dernière a rejeté à son tour sa demande d’anonymat, dans un jugement rendu jeudi. « Le caractère public des débats est un principe fondamental de notre système de justice », avaient rappelé lors de leur examen les juges de la Cour d’appel au dossier, citant ainsi l’arrêt Sherman, sur lequel se base leur décision.

Dans le cadre du premier Sommet international de l’écocitoyenneté, la Fondation Jasmin Roy va recevoir le 8 juin prochain la militante Tarana Burke, fondatrice du mouvement #MeToo.

« En tant qu’ancienne victime d’agression sexuelle, j’ai le droit. Il n’y a pas eu de plainte retenue [contre moi], c’est une coquille vide », souligne le président et fondateur de la fondation qui porte son nom.

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